JEAN-PHILIPPE BEAULIEU
Estudios Franco-Alemanes 1(2009), 5-15
Conformément aux dispositions du genre dont elles se réclament, les
treize épîtres familières qui forment le premier volet du recueil d’Epistres
familieres et invectives, publié en 1539 sous le nom d’Hélisenne de Crenne,
révèlent une épistolière dont l’aménité à l’égard de ses destinataires
contraste avec le ton véhément qu’elle adopte dans les cinq épîtres
invectives. En comparaison avec ces dernières, dont la rhétorique combattive
a piqué la curiosité des commentateurs
, les lettres familières d’Hélisenne
n’ont suscité en elles-mêmes qu’un intérêt assez relatif jusqu’à tout
récemment
. Je dois avouer pour ma part que, à l’exception de la treizième
épître, ce groupe de lettres m’a paru sans grande surprise jusqu’au moment
où j’ai entrepris de préparer, pour la collection « La cité des dames »
(Publications de l’Université de Saint-Étienne), une version modernisée de
l’ensemble des écrits attribués à Hélisenne, c’est-à-dire les Angoysses
douloureuses qui procedent d’amours de 1538, les Epistres familieres et invectives,
de même que le Songe de 1540
. De manière inattendue, les épîtres familières
sont se sont révélées, à certains égards, la portion du corpus « hélisénien » la
plus difficile à adapter, en raison d’un usage marqué de procédés relevant
de l’ellipse et de la périphrase allusive. La présence de ces procédés a rendu
nécessaire l’ajout, en note, de gloses ou de paraphrases explicatives de façon
à éclairer les passages difficiles à déchiffrer même après la régularisation de
la graphie et de la ponctuation, et pour lesquels de simples renvois au
glossaire (qui se trouve à la fin de l’ouvrage) semblaient insuffisants. À la
lumière d’observations issues de ce travail éditorial, j’aimerais proposer une
amorce de réflexion sur la présence, dans l’écriture des épîtres familières,
des procédés elliptiques qui rendent délicate la compréhension de passages
comme celui de la septième épître, adressée par Hélisenne à Guisnor, et qui
se lit ainsi dans la version des Œuvres de ma dame Helisenne (Paris, Charles
On consultera à ce sujet les travaux de Jerry C. Nash, en particulier «The Fury of the Pen :
Crenne, the Bible, and Letter Writing», dans Women Writers in Pre-Revolutionary France. Strategies
of Emancipation, Colette H. Winn et Donna Kuizenga (dir.), New York/Londres, Garland
Publishing, 1997, pp. 207-225.
Le récent collectif Hélisenne de Crenne. L’écriture et ses doubles (Jean-Philippe Beaulieu et Diane
Desrosiers-Bonin (dir.), Paris, Honoré Champion, 2004), comprend des articles sur les épîtres
familières signés notamment par Catharine Randall, Luc Vaillancourt et Colette H. Winn.
Cette intégrale des écrits «personnels» d’Hélisenne de Crenne (à l’exclusion de sa traduction
des quatre premiers livres de l’Énéide parue en 1541) a été publiée en deux volumes, le premier
comprenant les Angoysses douloureuses (2005), le second, les Epistres et le Songe (2008).