ISSN: 2171-6633
Estudios Franco-Alemanes 1 (2009), 91-102
RAPPORTS ENTRE LA LITTERATURE ET
L’ARCHITECTURE: TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE
POUR LE FRANÇAIS SUR OBJECTIFS SPECIFIQUES
Mª Ángeles Lence Guilabert
Universidad Politécnica de Valencia (España)
malence@idm.upv.es
Fecha de recepción : 25 de febrero de 2009
Fecha de aceptación : 31 de marzo de 2009
Abstract: The formal analysis of architectural space, such as it appears in the treatises
of architecture of the XVIII in France, is necessary when approaching linguistic and
literary spaces in narrative texts of the same period. The reading of novels and short
stories has focused on spatial descriptions serving to fulfil a didactic aim, focused on
the parallel use of two texts: a technical one, taken from the treaty Le genie de
l’Architecture (1780) by Le Camus de Mézières, in which the project of a domestic
space is described, and a literary one, an excerpt from Point de lendemain (1777) by
Vivant Denon, where the very same domestic space is narrated. The comparison
between both texts, in which specific vocabulary is remarked, serves as a link
between humanistic and technical disciplines since the practice has been designed for
students of Philology and students of Architecture and Fine Arts. This experience has
originated a research interdisciplinary model that can be carried out, within
classroom practices, between subjects teaching specifically oriented foreign
languages and technical- artistic ones such as painting or music, just to mention two
examples.
Key words: FOS, specific vocabulary, architecture, literature, interdisciplinary
Résumé: L’étude de l’espace linguistique et littéraire des textes narratifs du XVIIIe
siècle en France doit être basée sur l’analyse formelle de l’espace architectural des
traités d’architecture publiés à l’époque. Nous avons ciblé la lecture de romans et de
nouvelles sur les descriptions spatiales efficaces pour aboutir à un objectif
didactique, centré sur l’utilisation simultanée de deux textes, l’un technique,
provenant du traité Le génie de l’Architecture (1780) de Le Camus de Mézières,
l’auteur décrit le projet d’un espace domestique, l’autre littéraire, un extrait de Point
de lendemain (1777) de Vivant Denon, l’écrivain transforme en roman ce même
espace. La comparaison des deux textes, nous constatons un vocabulaire
M. ÁNGELES LENCE GUILABERT
Estudios Franco-Alemanes 1(2009), 91-102
92
spécifique concernant l’architecture, devient le pont entre les études humanistiques
et les études techniques, en travaillant en même temps avec des étudiants de
Philologie et des étudiants d’Architecture et des Beaux Arts. De ce travail- nous
avons obtenu un modèle interdisciplinaire de recherche que nous pouvons mettre en
place en classe parmi les matières de langue étrangère sur objectifs spécifiques et des
matières technico-artistiques telles que la peinture ou la musique, pour en citer
quelques-unes.
Mots clés: FOS, vocabulaire spécifique, architecture, littérature, interdisciplinaire.
Introduction
Cette étude est fondée sur les rapports existant entre la littérature et
l’architecture et, plus concrètement, sur les connexions qui dans la narrative
et les traités d’architecture du XVIIIe siècle nous mènent à formuler, en
premier lieu, une voie de recherche et, en second lieu, une application
didactique. Si la recherche part de l’analyse des traités publiés par des
architectes de l’époque au but pédagogique eux-mêmes donnaient des
cours d’architecture- pour rechercher ensuite la représentation de cet espace
architectural dans les nouvelles et romans publiés par des auteurs plus ou
moins connus, pour le plaisir des lecteurs, c’est dans la comparaison des
deux productions que l’étude du français sur objectifs spécifiques pour
l’Architecture, les Beaux Arts et la Philologie est focalisée. Pour aboutir à
l’objectif didactique, la lecture de traités d’architecture est centrée sur les
aspects moins techniques et plus descriptifs et la sélection de textes narratifs
se détient sur les descriptions spatiales. D’un répertoire de cinq traités et dix
oeuvres narratives, nous avons abouti à l’utilisation parallèle de deux textes,
l’un technique, extrait du traité Le génie de l’Architecture (1780) de Le Camus
de Mézières, l’architecte décrit le projet d’un espace domestique, l’autre
littéraire, un extrait de Point de lendemain (1777) de Vivant Denon, où l’auteur
fait un roman de ce même espace.
1. Rapports entre la littérature et l’architecture.
Convaincus que la littérature se nourrit de l’espace que nous habitons,
plus ou moins selon le réalisme ou la fantaisie dont l’auteur prétend
entourer sa fiction, il semble logique que les écrivains copient ou s’éloignent
de la réalité. Dans certaines œuvres, d’ailleurs, se produit une symbiose
Rapports entre la littérature et l’architecture: travail interdisciplinaire pour le Français sur…
Estudios Franco-Alemanes 1 (2009), 91-102
93
pensons au roman Le Sopha de Crébillon fils (1742), par exemplequand la
réalité contemporaine est transportée à un orient fantastique qui reflète,
cependant, l’espace aristocratique parisien, comme le dit Nagy (1975: 60).
Par ailleurs, littérature et architecture ont beaucoup en commun. Pierre
Naudin (1999: 64) le constate en comparant l’architecte Le Camus de
Mézières à l’écrivain Vivant Denon, en exposant comment les deux auteurs
traitent l’espace du boudoir, ce refuge intime féminin par excellence. En effet,
si ce n’était grâce au personnage introduit par le romancier, les deux
descriptions, comme nous verrons dans les textes objet de cette étude,
seraient similaires. C’est que dans toutes les époques, les architectes et les
décorateurs ont prêté leurs modèles à l’imagination des romanciers.
Discours confirmé par un autre chercheur, Philippe Hamon, qui établit
diverses connexions le long de l’histoire entre l’un et l’autre domaine,
malgré que ce rapport ne soit pas si évident comme celui de littérature-
peinture ou celui de littérature-musique, par exemple. En effet, la littérature
et la peinture sont des “âmes jumelles” au XVIIIe siècle, de sorte que les
tableaux recréent des espaces et ceux-ci composent des tableaux. De même,
le rapport entre l’architecture et la peinture est essentiel, puisque la première
se sert de la deuxième pour décorer ses murs et ses plafonds, en recherchant
toujours l’harmonie de sujets, formes et couleurs. Les objets participent aussi
de cette composition architecturale-picturale: mobilier ou bibelots objets
décoratifs- sont disposés en harmonie par rapport à l’ensemble ; ce sont des
pièces qui doivent encaisser dans un tout, conçu par les architectes-
décorateurs.
Mais reprenons le rapport littérature-architecture. Hamon part de trois
aspects fondamentaux qui unissent l’écriture et la construction: l’aspect
métalinguistique, le sémiotique et le créatif.
Sur le plan métalinguistique, les diverses linguistiques, rhétoriques,
critiques et théories littéraires, ont pris leurs métaphores et concepts
descriptifs de l’architecture et des arts de l’espace pour parler de leurs objets:
termes tels que plan, charpente, hors-d’oeuvre, seuil, distance, littérature édifiante,
topos, style, construction, structure, parmi un grand nombre, servent à
désigner des genres et des sous-genres littéraires de même que des notions
ou « lieux » particuliers du texte à décrire.
Sur le plan sémiotique général, on peut prendre pour base l’analogie
entre les deux domaines. L’architecture, art de donner la dimension à
M. ÁNGELES LENCE GUILABERT
Estudios Franco-Alemanes 1(2009), 91-102
94
l’espace moyennant une structure, une articulation qui distingue ses parties
par des cloisons, planchers, portes, barrières, murs et limites qui définissent
et séparent le public du privé, le sacré du profane, etc., ressemble à une
œuvre de langage, art de produire un sens à travers des différences, mises en
œuvre dans le récit, séquences et articulations dans la chaîne sonore ou
écrite. Comme le dit Philippe Hamon (1999: 315) “En architecture comme en
langage, il n’y a sens que il y a différence (Saussure), et il n’y a de
maîtrise de l’espace qu’en le mettant en architecture, comme il n’y a de
maîtrise du temps qu’en le mettant en récit”.
Pour conclure, sur le plan créatif, Hamon affirme que l’architecture est
par essence cosa mentale, et l’architecte est, aussi bien que l’écrivain, un
producteur d’êtres de papier, d’objets graphiques et sémiotiques, de
“fictions”: les croquis, plans, projets, maquettes, descriptifs, devis, les coupes
des architectes, qui dessinent un bâtiment virtuel pas encore érigé par les
constructeurs, ressemblent beaucoup à la partition du musicien, ou au
roman du romancier, à la pièce de théâtre du dramaturge, ou au poème
du poète, des objets sémiotiques aussi virtuels qui demandent d’être
actualisés et réalisés en concret par un acte de lecture réel:
Pour l’architecte comme pour l’écrivain, il n’y a que des
monuments en papier (Du Bellay, Les Antiquitez de
Rome, 32). D’où la propension, peut-être, des architectes
à beaucoup écrire, qui savent avec brio utiliser toutes les
possibilités de tous les genres littéraires, l’aphorisme (Le
Corbusier), le dictionnaire et l’histoire didactique
(Viollet-le-Duc), le Journal ou les Mémoires (Pouillon),
l’essai (Virilio), le roman (F. Jourdain), etc. (1999: 315).
Hamon expose une perspective historique du rapport général entre
littérature et architecture, pour remarquer comment l’architecture est
présentée dans le texte littéraire: Art de mise en ordre de l’espace,
l’architecture se présente en texte littéraire, aux époques classiques, sous les
régimes mêmes d’une sorte d’espacement rhétorique, sous les régimes de la
distanciation, de la mise à distance […] (1999: 316).
Dans ce sens, en ce qui concerne la narrative libertine, la présence de
l’architecture est essentielle et la distance dont parle Hamon se rapporte au
fait que l’architecture est restée isolée dans des genres mineurs ou
marginaux par rapport aux grands” genres littéraires: “[…] genres
Rapports entre la littérature et l’architecture: travail interdisciplinaire pour le Français sur…
Estudios Franco-Alemanes 1 (2009), 91-102
95
érotiques de l’espace intime (avec escaliers dérobés, alcôves et petites maisons
soigneusement agencées)” Naudin (1999: 64).
Tout artiste a besoin d’un spectateur. Tout écrivain a besoin d’un lecteur.
Si au XVIIIe siècle, les façades, les vestibules et les escaliers conservent
toujours l’ampleur et la noblesse de l’époque de Louis XIV, les intérieurs son
revêtus d’une décoration qui n’est plus simple ornement, mais surtout
plaisir des sens. Cette apparente séparation entre extérieur et intérieur,
constatable dans les traités d’architecture de l’époque, est dûe non
seulement à une tradition qui perdure quant à la disposition des extérieurs,
mais aussi au goût de l’époque pour provoquer la surprise et l’admiration
progressivement, ce qui ne peut être obtenu que dans l’espace intérieur,
“pièce après pièce” comme le dit Naudin (1999: 65), en entrant dans une
habitation, comme s’il s’agissait d’arriver à la fin d’une énigme.
C’est ainsi que Charles-Étienne Briseux (1743) utilise le terme
“spectateur” quand il parle de la curiosité que l’architecte doit savoir éveiller
chez le visiteur qui arrive pour la première fois dans une maison. Pour cela il
conseille d’éviter la symétrie, l’uniformité, la régularité, afin de créer des
formes nouvelles qui provoquent la curiosité. Comme nous verrons, Le
Camus de Mézières (1780: 45), dans la ligne de Briseux, préconise une
progression insensible de la nudité du vestibule à la profusion du boudoir.
Cette gradation apparaît étroitement liée à la séduction romancière qui suit
un itinéraire spatial parallèle au projet du séducteur et ses avances : La Petite
Maison de Bastide et Point de lendemain sont les textes de l’ itinéraire
amoureux par excellence.
D’après Hamon (1999: 316-317), du point de vue de l’utilitarisme,
l’architecture est au service de la littérature:
[…] un mur est un obstacle fait pour être franchi, le
jardin ou l’auberge sont des lieux de rencontre, un
escalier permet d’entrer, une fenêtre permet de voir, […]
la chambre est le lieu que le libertin doit verrouiller ou
déverrouiller, etc. Le lieu permet, ou justifie, ou favorise,
ou empêche l’action du héros, et il n’est que cela,
réductible soit à des fonctions simples d’indicateur de
genre ( […] l’alcôve [signifie que le lecteur] lit un texte
érotique), soit à ses fonctions actantielles pures (et
pauvres) d’adjuvant, d’opposant ou d’objet désiré dans
la quête du personnage.
M. ÁNGELES LENCE GUILABERT
Estudios Franco-Alemanes 1(2009), 91-102
96
Mais l’architecture s’inspire aussi de la littérature. Naudin (1999: 67) loue
les traités d’architecture du XVIIIe par l’absence de technicismes dans la
langue, par une maîtrise parfaite du style et des procédés rhétoriques, par
l’usage approprd’images, de métaphores et de comparaisons qui révèlent
un véritable imaginaire architectural propre de l’époque des Lumières. Dans
ce sens, l’un des espaces les plus répertoriés pour établir des comparaisons
ou créer des métaphores est, notamment, le théâtre.
Nous en pouvons déduire que les architectes étaient et sont aussi,
directement ou indirectement, des déclencheurs d’un univers littéraire. Dans
leur intention de construire pour un spectateur, comme chez l’écrivain pour
écrire en s’adressant à un lecteur, l’architecte était, en quelque sorte, un
écrivain à la recherche de personnages. L’écrivain, à son tour, profite d’un
décoré pour construire son histoire. Les narrateurs d’histoires de séduction,
choisissent les espaces qui leur offrent le plus de possibilités pour récréer la
séduction. À espace plus intime, plus grand degré d’érotisme. C’est ainsi
qu’une gradation érotique s’établit en fonction de la position du
protagoniste: l’espace qu’il occupe, s’il est seul ou accompagné, s’il est
observé par un voyeur, s’il est lui-même voyeur Pour tout cela, ces
écrivains ont besoin de l’outil essentiel de l’architecture qui leur offre la
possibilité de construire des espaces intimes, de petits recoins cachés dans
les murs, des mécanismes qui leur permettent de voir sans être vus, des
labyrinthes se perdre, des chambres garnies de miroirs et de tableaux
voluptueux qui stimulent leurs occupants, des salles de bains qui montrent
la nudité des femmes
Du point de vue formel, cette idée nous a menés à mettre en oeuvre
l’analyse, en premier lieu, de l’espace architectural, tel qu’il apparaît dans les
traités d’architecture, pour aborder ensuite l’espace littéraire à partir d’une
sélection d’œuvres libertines.
2. Méthodologie.
Cependant, notre méthodologie a été difrente. En premier lieu, avant
de nous risquer à proposer une activité interdisciplinaire, il a fallu trouver
des éléments suffisants qui la valident. C’est à dire, il fallait lire des romans
et des nouvelles qui offrent, d’une part, des descriptions spatiales, et d’autre
part des éléments récurrents dans ces descriptions, permettant de mener
plus en avant la recherche. Les lectures nous ont menés à sélectionner un
Rapports entre la littérature et l’architecture: travail interdisciplinaire pour le Français sur…
Estudios Franco-Alemanes 1 (2009), 91-102
97
répertoire efficace pour notre objectif et excellent pour la recherche d’aspects
communs dans les traités d’architecture, de sorte que nous pouvons en
établir les similitudes.
Convaincus comme Philippe Hamon (1999: 321) que “l’architecture, en
régime littéraire, règle non seulement une topographie, mais une topique
rhétorique”, dans ce travail nous avons poursuivi dès le début un objectif
didactique qui sert de pont entre les matières linguistique-littéraires et les
techniques, en travaillant en même temps avec des étudiants de Philologie et
des étudiants d’Architecture et des Beaux Arts: l’analyse de l’espace à
travers les textes d’architectes et des romanciers français du XVIIIe siècle,
leurs distances, leurs approches, leurs similitudes.
Si notre origine est philologique, notre environnement depuis longtemps
est polytechnique, et nous nous réaffirmons dans l’idée que les lettres et les
sciences doivent partager la diversité de leurs matières, à travers les aspects
communs qui les rapprochent sans doute, d’un point de vue humaniste de la
formation universitaire et professionnelle. Cette ferme croyance nous mène à
proposer un modèle interdisciplinaire de recherche qui peut être mis en
œuvre en classe. Nous insistons que cette proposition peut être appliquée
entre diverses matières et dans l’étude de n’importe quelle langue étrangère
sur objectifs spécifiques.
3. Modèle d’activité interdisciplinaire.
Comme modèle d’activité interdisciplinaire pour FOS, nous présentons
les deux textes objet d’étude qui ont un titre commun:
Le boudoir
Texte 1. Point de lendemain, Dominique Vivant Denon (1777)
Tout cela avait l’air d’une initiation. On me fit traverser un petit corridor
obscur, en me conduisant par la main. [...] les portes s’ouvrirent:
l’admiration intercepta ma réponse. Je fus étonné, ravi, [...] et je commençai
de bonne foi à croire à l’enchantement. La porte se referma, et je ne
distinguai plus par j’étais entré. Je ne vis qu’un bosquet aérien qui, sans
issue, semblait ne tenir et ne porter sur rien; enfin je me trouvai dans une
vaste cage de glaces, sur lesquelles les objets étaient si artistement peints
que, répétés, ils produisaient l’illusion de tout ce qu’ils représentaient. On ne
M. ÁNGELES LENCE GUILABERT
Estudios Franco-Alemanes 1(2009), 91-102
98
voyait intérieurement aucune lumière; une lueur douce et céleste pénétrait,
selon le besoin que chaque objet avait d’être plus ou moins aperçu; des
cassolettes exhalaient de délicieux parfums; des chiffres et des trophées
dérobaient aux yeux la flamme des lampes qui éclairaient d’une manière
magique ce lieu de délices. Le côté par nous entrâmes représentait des
portiques en treillage ornés de fleurs, et des berceaux dans chaque
enfoncement d’un autre côté, on voyait la statue de l’Amour distribuant des
couronnes; devant cette statue était un autel, sur lequel brillait une flamme;
au bas de cet autel étaient une coupe, des couronnes, et des guirlandes; un
temple d’une architecture légère achevait d’orner ce côté: vis-à-vis était une
grotte sombre; le dieu du mystère veillait à l’entrée: le parquet, couvert d’un
tapis pluché, imitait le gazon. Au plafond, des génies suspendaient des
guirlandes; et du côté qui répondait aux portiques était un dais sous lequel
s’accumulait une quantité de carreaux avec un baldaquin soutenu par des
amours.
Ce fut là que la reine de ce lieu alla se jeter nonchalamment... et dans
l’instant, grâce à ce groupe répété dans tous ses aspects, je vis cette île toute
peuplée d’amants heureux. [pág. 59]
L’édition utilisée est celle de Michel Delon : Vivant Denon, Point de lendemain
(1777), suivi de Jean-François Bastide, La Petite Maison (1758), París,
Gallimard, Coll. Folio Classique, 1995.
Texte 2. Le génie de l’architecture ou l’analogie de cet art avec nos
sensations, Nicolas Le Camus de Mézières (1780).
Le boudoir est regardé comme le séjour de la volupté; c’est qu’elle semble
méditer ses projets, ou se livrer à ses penchans. D’après ces idées qui
tiennent à nos moeurs, quelle attention ne doit-on pas apporter pour en faire
l’endroit le plus agréable? Il est essentiel que tout y soit traité dans un genre
on voie régner le luxe, la mollesse et le goût. Les proportions de l’Ordre
Corinthien sont élégantes, elles lui conviennent. Donnez à cette pièce un ton
de dignité et de prétention, c’est une petite maîtresse à parer. L’air de
galanterie dont on ne peut s’écarter, exige que les masses soient légeres et
cadencées, les formes peu prononcées. On ne peut trop éviter les ombres
dures et crues, que pourroient produire des lumieres trop vives. Il faut un
Rapports entre la littérature et l’architecture: travail interdisciplinaire pour le Français sur…
Estudios Franco-Alemanes 1 (2009), 91-102
99
jour mystérieux, et on l’aura par le moyen de gazes placées avec art sur
partie des croisés. [pág. 116]
Les croisées doivent avoir, autant qu’il sera possible, des points de vue
favorables, et, au défaut de la belle nature, ayez recours à l’Art: c’est dans ce
cas le goût et le génie doivent se déployer; il faut tout mettre en oeuvre,
employer la magie de la peinture et de la perspective pour créer des
illusions. Si l’on peut se procurer le point de vue d’un jardin particulier, les
berceaux, les treillages, les volieres y feront un bon effet. Le ramage des
oiseaux, une cascade ingénieusement pratiquée, dont les eaux enchantent les
yeux et les oreilles, semblent appeler l’Amour. [pág. 117]
Les sujets du tableau seront puisés dans les endroits galans et agréables de
la fable. Le triomphe d’Amphitrite, Psyché et l’Amour, Vénus et Mars
offriront des compositions convenables au caractere du lieu. Tout y doit être
commode, et tout y doit plaire. [pág. 117]
Souvent aussi un doux sommeil s’empare alors de nos sens, et des songes
legers rendent notre ame errante. Différentes statues distraient agréablement
par les sujets qu’elles représentent. Des orangers, des myrthes dans des
vases de choix flattent et la vue et l’odorat. Le chevrefeuil, le jasmin en forme
de guirlandes couronnent le Dieu qu’on révere à Paphos. Une variété bien
assortie présente l’intéressant tableau de la belle nature. C’est ici que l’ame
jouit d’elle-même, ses sensations tiennent de l’extase; c’est la retraite de Flore
qui, parée des plus vives couleurs, attend en secret les caresses de Zéphire.
[págs. 117-118]
Le boudoir ne serait pas moins délicieux, si la partie enfoncée se place le
lit étoit garnie de glaces dont les joints seroient recouverts par des troncs
d’arbres sculptés, masseés, feuillés avec art et peints, tels que la nature les
donne. La répétition formeroit un quinconce qui se trouveroit multiplié dans
les glaces. Les bougies produisant une lumiere graduée, au moyen des gazes
plus ou moins tendues, ajouteroient à l’effet de l’optique. On pourroit se
croire dans un bosquet; des statues peintes et placées à propos ajouteroient à
l’agrément et à l’illusion. [pág. 119]
Le plafond peut représenter un ciel azuré, peu de nuages; une couple de
colombes qui sembleroient planer dans les airs, et chercher à rejoindre le
char de Vénus, suffiront pour l’animer. [pág. 121]
Cette retraite délicieuse ne doit occasionner que des émotions douces; porter
la sérénité dans l’ame, la volupté dans tous les sens. Il faut tendre au dernier
M. ÁNGELES LENCE GUILABERT
Estudios Franco-Alemanes 1(2009), 91-102
100
degré de perfection, et que le desir soit satisfait, sans donner atteinte à la
jouissance. [pág. 123]
L’édition est celle de Nicolas Le Camus de Mézières, Le génie de l’architecture
ou l’analogie de cet art avec nos sensations, Paris, Benoît Morin, 1780.
[Disponible sur <htpp://gallica.bnf.fr>]
4. Questionnaire.
Cette activité est adrese à des élèves de Philologie française, ainsi qu’à
ceux d’Architecture et des Beaux Arts qui étudient le français comme
matière facultative ou de libre option, ayant un niveau intermédiaire/avancé.
Nous avons prévu que des 4,5 crédits dont la matière dispose, 1,2 crédits
peuvent être consacrés à cette activité, distribués entre théorie et pratique de
classe. L’activité se compose d’un questionnaire qui vise à l’analyse
contextuelle, formelle et comparative des textes, dont les résultats sont
évalués de façon globale, en obtenant la moyenne de trois notes qui évaluent
le procédé comment l’élève a lu le texte- de même que la production écrite
rédaction- et oraleexposé-:
1.- Définition de boudoir à partir des textes: représentation et fonction de
l’espace.
2.- Distribution et décoration de l’espace: formes, couleurs, matériaux, objets
(meubles, peinture, sculpture, bibelots…).
3.- L’architecture des sens: traitement de la lumière, exhalation de parfums,
représentation de sujets galants, imitation de la nature, multiplicité de
miroirs.
4.- La métaphore dans les textes: fonction et symboles.
5.- Inventaire de termes d’architecture et leur traduction en espagnol/langue
de la communauté autonome (s’il y en a).
6.- Caractéristiques du Siècle des Lumières à travers les textes.
7.- La mythologie dans la peinture et dans la sculpture du XVIIIe siècle:
quelques modèles.
8.- Influences de la philosophie sensualiste sur la littérature et l’architecture.
9.- Serait-il possible de réinventer le boudoir au XXIe siècle?
10.- Conclusions: comment représente-t-on l’espace du boudoir décrit par Le
Camus de Mézières dans le texte de Vivant Denon?
Rapports entre la littérature et l’architecture: travail interdisciplinaire pour le Français sur…
Estudios Franco-Alemanes 1 (2009), 91-102
101
5. Résultats généraux et conclusion.
Laissant de côté des résultats très concrets qui seraient l’objet d’un autre
article, nous pouvons souligner que les étudiants s’impliquent dès le début à
la lecture et l’analyse des textes. En premier lieu, la lecture de textes anciens
est nouveau pour eux: cela éveille leur curiosité pour la langue utilisée à
cette époque, tant il est vrai que l’orthographe de la langue française était
presque établie. On pouvait trouver toujours des terminaisons verbales en
oit au lieu de l’actuelle -ait (étoit par était), en -oient su lieu de l’actuelle en
aient ou quelques substantifs ou adjectifs finis par ns, de nos jours nts
(penchans par penchants, galans par galants), des mots non accentués comme
caractere ou ame, actuellement accentués (caractère, âme). Par ailleurs, ils
apprécient l’orientation interdisciplinaire, grâce à laquelle et, en tant
qu’élèves de cours avancés, ils peuvent mettre en jeu leurs connaissances
techniques des matières respectives. La classe devient ainsi un espace
intégral d’apprentissage qui enrichit la formation des étudiants mais aussi
celle du professeur, puisqu’il s’établit une communication fondée sur la
réciprocité. Finalement, le sujet les intéresse et les entraîne à rechercher de
l’information hors du cours: des consultations sur le site Gallica de la
Bibliothèque Nationale de France, ils peuvent trouver divers traités
d’architecture du XVIIIe siècle, des revues de l’époque comme Le magasin
pittoresque, ainsi que des nouvelles ou des romans numérisés. En ce qui
concerne le vocabulaire technique, il y a une tâche qu’il est toujours
convenable de faire : un répertoire de termes spécifiques, avec la traduction
en espagnol et en langue régionale le cas échéant (on peut même faire des
glossaires multilingues) et avec la définition pour des vocables dont la
traduction n’est pas si évidente, comme c’est le cas de boudoir qui peut être
défini comme “petite pièce, circulaire de préférence, les dames se
retiraient à la recherche d’intimité”. Les champs sémantiques sont aussi
étudiés, quoique de façon très simple: en ouvrant des répertoires selon la
fonction de l’objet (construction, distribution, décoration). Mais si l’aspect
formel les intéresse, il n’en est pas moins en ce qui concerne l’aspect
conceptuel. Il faut tenir compte que nous sommes en train de faire des
recherches dans des aspects humanistes qui réunissent des projets cherchant
d’un côté le confort de l’habitat, de l’autre la beauté artistique. L’architecte
part d’un concept philosophique dès qu’il conçoit son projet. Dans ce texte
on observe comment le sensualisme de Condillac a influencé Le Camus de
M. ÁNGELES LENCE GUILABERT
Estudios Franco-Alemanes 1(2009), 91-102
102
Mézières. Les étudiants ne le savent pas, mais pourtant ils perçoivent ce que
l’architecte veut transmettre et savent que le traité répond aussi à une mode.
C’est-à-dire, ils apprennent à mettre en contexte le discours de l’écrivain. Et
si le texte de fiction les prépare dans cette représentation architecturale des
sens, le texte qu’on suppose technique les affirme dans leur intuition: que
tous les deux ont des rapports, que l’un a bu de l’autre, sans savoir
exactement lequel des deux a dominé. Ce serait intéressant donc de mettre
en place cette activité sans que les étudiants connaissent a priori l’auteur des
textes. Peut-être recherchons-nous cette idée du point de vue quantitatif, à
partir de résultats obtenus de questions test.
Enfin, il s’agit d’une activité qui, fondée sur l’interdisciplinaire,
approfondit dans l’étude de la langue, en mettant en oeuvre ses quatre
compétences: avec un niveau B1 et préparant le niveau B2 suivant le cadre
européen des langues, l’étudiant lit un texte littéraire et un texte technique,
cherche de l’information, utilise des dictionnaires, fait une analyse de la
langue, écrit sur les sujets traités dans le questionnaire, pose des questions
au professeur, parle avec ses copains et expose ses conclusions.
Bibliographie
BASTIDE, J.-F., Point de lendemain suivi de La Petite Maison (1758). París:
edición de Michel Delon 1995, Gallimard.
BERTAUD, M. (dir.), Travaux de littérature, Architectes et architecture dans la
littérature française, vol. XII. París: ADIREL, 1999.
BRISEUX, Ch.-É., L’Art de bâtir des maisons de campagne, 1743, t.II, 7, 1, p. 154.
HAMON, Ph., “Littérature et architecture: divisions et distinctions”. In:
Madeleine Bertaud (dir.), 1999, pp. 313-321.
LE CAMUS DE MEZIERES, N., Le génie de l’architecture ou l’analogie de cet art avec
nos sensations. París: Benoît Morin, 1780.
NAGY, P., Libertinage et révolution. París : Gallimard, Col. Idées, 1975.
NAUDIN, P., “L’architecte et le romancier au siècle de Le Camus de Mézières
et de Vivant Denon”. In: Madeleine Bertaud (dir.), 1999, pp. 63-70.