
M. ÁNGELES LENCE GUILABERT
Estudios Franco-Alemanes 1(2009), 91-102
l’espace moyennant une structure, une articulation qui distingue ses parties
par des cloisons, planchers, portes, barrières, murs et limites qui définissent
et séparent le public du privé, le sacré du profane, etc., ressemble à une
œuvre de langage, art de produire un sens à travers des différences, mises en
œuvre dans le récit, séquences et articulations dans la chaîne sonore ou
écrite. Comme le dit Philippe Hamon (1999: 315) “En architecture comme en
langage, il n’y a sens que là où il y a différence (Saussure), et il n’y a de
maîtrise de l’espace qu’en le mettant en architecture, comme il n’y a de
maîtrise du temps qu’en le mettant en récit”.
Pour conclure, sur le plan créatif, Hamon affirme que l’architecture est
par essence cosa mentale, et l’architecte est, aussi bien que l’écrivain, un
producteur d’êtres de papier, d’objets graphiques et sémiotiques, de
“fictions”: les croquis, plans, projets, maquettes, descriptifs, devis, les coupes
des architectes, qui dessinent un bâtiment virtuel pas encore érigé par les
constructeurs, ressemblent beaucoup à la partition du musicien, ou au
roman du romancier, où à la pièce de théâtre du dramaturge, ou au poème
du poète, des objets sémiotiques aussi virtuels qui demandent d’être
actualisés et réalisés en concret par un acte de lecture réel:
Pour l’architecte comme pour l’écrivain, il n’y a que des
“monuments en papier” (Du Bellay, Les Antiquitez de
Rome, 32). D’où la propension, peut-être, des architectes
à beaucoup écrire, qui savent avec brio utiliser toutes les
possibilités de tous les genres littéraires, l’aphorisme (Le
Corbusier), le dictionnaire et l’histoire didactique
(Viollet-le-Duc), le Journal ou les Mémoires (Pouillon),
l’essai (Virilio), le roman (F. Jourdain), etc. (1999: 315).
Hamon expose une perspective historique du rapport général entre
littérature et architecture, pour remarquer comment l’architecture est
présentée dans le texte littéraire: Art de mise en ordre de l’espace,
l’architecture se présente en texte littéraire, aux époques classiques, sous les
régimes mêmes d’une sorte d’espacement rhétorique, sous les régimes de la
distanciation, de la mise à distance […] (1999: 316).
Dans ce sens, en ce qui concerne la narrative libertine, la présence de
l’architecture est essentielle et la distance dont parle Hamon se rapporte au
fait que l’architecture est restée isolée dans des genres mineurs ou
marginaux par rapport aux “grands” genres littéraires: “[…] genres