ISSN: 2171-6633
Estudios Franco-Alemanes 2 (2010), 5-29
LIRE AU QUÉBEC AU XIX ÈME SIÈCLE
ANNE AUBRY
Universidad Pablo de Olavide
acaubx@upo.es
Fecha de recepción: 17.02.2010
Fecha de aceptación: 1.05.2010
Abstract: In an investigation about «the come to the writing» (according to the
expression of Luce Irigaray) of Laure Conan, the first novelist from Quebec, we
observe the previous conditions to the writing. The first of these conditions is
obviously the reading. To read, it is necessary to have learnt to read. We describe the
history of the education in Quebec during the 19th century, covering from the
primary education until the University. We observe with attention the situation
objectively more difficult of the women in this process of intellectual training. e
analyse the places of the public reading with the bookshops, the libraries, the
libraries of the parishes and the distinct institutes. Finally, we understand that these
different physical places materialise the fight of the different intellectual currents that
face to in the heart of the French Canadian society of this period. These different
places stage the opposition of the Catholics by a part and of the liberals on the other
hand.
Key words: History of the reading, Québec in the 19th century, history of the
education.
Résumé: Dans une recherche plus large sur «la venue à l’écriture» (selon l’expression
de Luce Irigaray) de Laure Conan, la première romancière québécoise, nous avons
nous interroger sur les conditions préalables à l’écriture. La première de ces
exigences est bien évidemment la lecture. Or, pour lire, il faut avant tout apprendre à
le faire, nous nous arrêterons donc ici sur l’histoire de l’éducation au Québec à la fin
du XIXème siècle de l’enseignement primaire à l’Université, en ayant toujours à
l’esprit la situation particulière de la femme qui souhaite se former. Puis, nous nous
pencherons plus systématiquement sur les lieux de la lecture publique en observant
successivement, les librairies, les bibliothèques publiques et les bibliothèques
paroissiales, les cabinets de lecture et les différents Instituts. Enfin, nous observerons
que ces différents endroits physiques ne font rien d’autre que de matérialiser la lutte
des différents courants intellectuels qui s’affrontent au cœur de la société canadienne
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française de l’époque. Ces différents lieux mettent en scène l’opposition des
catholiques de sensibilité ultramontaine d’une part, et des libéraux d’autre part.
Mots-clés: Histoire de la lecture, Québec au XIXème siècle, histoire de l’éducation
Dans une recherche plus large sur « la venue à l’écriture» (selon
l’expression de Luce Irigaray) de Laure Conan, la première romancière
québécoise, nous avons nous interroger sur les conditions préalables à
l’écriture.
La première de ces exigences est bien évidemment la lecture. Or, pour
lire, il faut avant tout apprendre à le faire, nous nous arrêterons donc ici sur
l’histoire de l’éducation au Québec à la fin du XIXème siècle de
l’enseignement primaire à l’Université, en ayant toujours à l’esprit la
situation particulière de la femme qui souhaite se former.
Puis, nous nous pencherons plus systématiquement sur les lieux de la
lecture publique en observant successivement, les librairies, les
bibliothèques publiques et les bibliothèques paroissiales, les cabinets de
lecture et les différents Instituts.
Enfin, nous observerons que ces différents endroits physiques ne font
rien d’autre que de matérialiser la lutte des différents courants intellectuels
qui s’affrontent au cœur de la société canadienne française de l’époque. Ces
différents lieux mettent en scène l’opposition des catholiques de sensibilité
ultramontaine d’une part, et des libéraux d’autre part.
1. L’éducation au Québec au XIXème siècle.
1.1. Alphabétisation et école primaire.
Fernande Roy, dans son Histoire de la librairie au Québec rappelle que
(2000: 65): «Le commerce du livre s’avère, de toute évidence, lié au
développement de l’alphabétisation et de l’éducation, et c’est en s’emparant
progressivement de ce secteur que l’Eglise devient un intervenant
incontournable dans le sort des libraires.» Pour poser les termes de la
situation qui nous intéresse sur le fait de «lire au Québec», il faut préciser
d’abord les trois aspects du problème: le livre, le lecteur ou la lectrice, et le
fait d’apprendre à lire.
Fernande Roy montre que lors de la riode qui s’étale de 1800 à 1840,
l’éducation devient un véritable enjeu entre les autorités politiques et
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religieuses. A titre d’exemple, l’Eglise boycotte l’Institution royale proposée
par le gouverneur pour implanter des écoles primaires dans la colonie,
laissant ainsi clairement en évidence le rôle qu’elle entend jouer dans la
formation intellectuelle du peuple. Beaucoup y verraient (ou y ont vu) une
tentative de dominer les consciences. Jusqu’au XIXème siècle,
l’enseignement et la santé sont au Canada la responsabilité exclusive de
l’Eglise d’ailleurs richement dotée en terre pour remplir ces fonctions
sociales, selon Fernand Ouellet
1
.
Rappelons que dans les anes 1820, le taux d’alphabétisation de la
population canadienne française est seulement de 15%. Pour mémoire, il
faut noter qu’en France, Martyn Lyons signale qu’à la période
révolutionnaire, 50% des hommes et 30% des femmes savaient lire, ces
pourcentages étant d’ailleurs plus faibles qu’en Grande Bretagne (62%) et
que dans l’Empire allemand (88%). Pourtant, si l’on veut comparer des
indices d’alphabétisation à des époques plus proches dans le temps, notons
avec Pasquet qu’ (1977: 246) «Entre 1827 et 1908, la France voit sa proportion
de conscrits sachant au moins lire passer de 44,8% à 96,8%. Certes, des 15%
d’alphabétisés québécois aux 44% français, il y a une différence tout à fait
notable. Pourtant, les efforts mis en place par les gouvernements québécois
pour combler le retard se heurtent à l’opposition du clergé… et il faut,
comme dans le cas de la France, remonter à l’époque du XVIIIème siècle
pour mettre les faits en perspective.
Marcel Lajeunesse signale ainsi (1977: 21) que «l’enseignement primaire
ne se développe au XVIIIème siècle qu’au rythme des modestes besoins des
classes dirigeantes.» L’enseignement secondaire avait alors toutes les
préférences car c’est à cette époque qu’on recrutait les membres des
professions libérales et la relève ecclésiastique. Il n’existe pas non plus alors
de volonté ferme d’édifier un système généralisé d’enseignement primaire
au XIXème, mais peu à peu, le besoin s’en fait ressentir. C’est
particulièrement flagrant avec la révolution économique, qui marque la fin
de la traite des fourrures et le début d’une ère nouvelle pendant laquelle la
nécessité de former des hommes d’affaires entreprenants, des ouvriers
1
Fernand OUELLET, « L’enseignement primaire: responsabilité des églises ou de l’Etat? (1801-
1836» in L’éducation au Québec (19·-20·siècles), de Marcel Lajeunesse, 1971, éditions Boréal,
Montréal.
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spécialisés et des agriculteurs qui soient au fait de nouvelles techniques se
fait sentir, car comme l’écrit Claude Galarneau dans son article «Le premier
siècle de l’imprimé au Québec (1764-1870)» (2001: 83): «L’apprentissage
demeure la règle pour les architectes, les arpenteurs et autres membres des
professions libérales.»
On cherche aussi à développer le patriotisme des Canadiens Français et
pour atteindre cet objectif, l’école est un instrument de propagande tout
trouvé. Il faut néanmoins souligner que le programme de l’école primaire
consiste à cette époque à enseigner à lire, à écrire et à compter. En 1801,
l’Etat affirme ses droits et crée l’Institution Royale qui soulèvera l’opposition
du clergé canadien français tout au long du XIXème siècle:
Pour les Patriotes, l’éducation est principalement affaire
de nationalité ; par conséquent, l’Exécutif ne doit avoir
autorité que sur les écoles anglaises, le contrôle sur les
écoles primaires françaises devant être accordé à la
Chambre d’Assemblée considérée comme la
représentation nationale.
2
De fait, et afin de compléter cette approche de l’histoire de l’éducation au
Québec, il faut insister sur la montée en puissance des classes moyennes,
c’est-à-dire des professions libérales et de la petite bourgeoisie commerçante.
Ces dernières sont pénétrées des idées libérales et démocrates et pour elles,
l’enseignement relevait de la responsabilité de l’Etat, et non de groupes
particuliers. L’éducation devait ainsi sauvegarder les droits fondamentaux
de l’homme, particulièrement sa liberté de conscience. Pour les libéraux et
les démocrates, ce qu’ils nomment «l’école neutre» est un système non
seulement pour les non-croyants, mais il s’agit encore d’un dispositif qui est
valable pour tous.
Dans les trois premières décennies du XIXème siècle, l’importance de
l’Eglise dans l’enseignement primaire est considérablement réduite:
Comme on le sait, les Jésuites et les Récollets avaient
disparu et les Sulpiciens concentraient leurs activités
éducatives dans la paroisse de Montréal où ils tenaient le
collège et supportaient de petites écoles confiées aux
2
Marcel LAJEUNESSE, L’éducation au Québec (19·-20 siècles), op. cit., p. 25.
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religieuses de la Congrégation de Notre-Dame et à des
laïques. Les frères des Ecoles Chrétiennes n’arrivèrent
qu’en 1837. Du côté des religieuses, seules les Dames de
la Congrégation, les Ursulines et les sœurs de l’Hôpital
Général enseignaient à quelques centaines d’élèves dans
une vingtaine de pensionnats/écoles répartis en 1825,
dans les régions de Montréal, Québec et Trois-Rivières.
3
1.2. La loi de 1829 ou loi des écoles d’Assemblée.
Une date importante pour l’histoire de l’éducation est celle de 1829
l’on vote la loi dite des écoles d’Assemblée. Selon cette dernière, le
gouvernement rembourse la moitié du coût de construction des écoles, le
reste étant pris en charge par la population concernée. Le vote de cette loi
montre de manière tout à fait éclairante la force de l’esprit laïque (c’est le
moment il saffirme le plus au Bas-Canada) et elle est adoptée dans une
conjoncture favorable à l’expression de tendances nationalistes des classes
moyennes. Cette loi de 1829 fait la part belle à l’instituteur laïc, sans prendre
nécessairement conscience de ses limites: certains savaient lire, mais pas
écrire. Marcel Lajeunesse souligne ainsi que (1971 : 27) «la loi de 1829, en
dépit de ses lacunes, répondait à un besoin et elle a donné à l’instituteur laïc
une supériorité numérique écrasante, sans lui conférer pourtant la
compétence requise.»
Mais le clergé se fie de ces écoles patronnées par l’Etat et, d’autre part,
les Patriotes ont aussi d’autres adversaires. C’est la raison pur laquelle en
1836, la loi n’est plus renouvelée, la moitié des écoles doit fermer, le taux
d’alphabétisation ne parvient pas à décoller, et ce sont surtout les zones
rurales qui sont le plus touchées. On constate ainsi encore en 1838 seulement
15% d’alphabétisation, alors que dans les townships à majorité canadienne
anglaise, il y a quatre fois plus de personnes sachant lire et écrire.
Marcel Lajeunesse en tire ainsi le bilan: (1971: 28) «La faillite des efforts
de la bourgeoisie pour réaliser l’indépendance du Canada français
impliquait la chute du système scolaire qu’elle avait fondé.» Et de fait, si l’
«école neutre» n’a obtenu finalement que peu d’appui et bien peu
3
Andrée DUFOUR, «Les institutrices rurales du Bas-Canada: incompétentes et
inexpérimentées?», Revue d’Histoire de l’Amérique Française, vol. 51, no (printemps 1998), p. 533.
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d’encouragements, c’est à cause de la faiblesse de la bourgeoisie et du
mouvement libéral.
1.3. Les lois scolaires des années 40.
A partir des années 1840, on constate à nouveau le désir de mettre en
place un système scolaire public, mais les Eglises (protestante et catholique)
exigent que ces écoles soient confessionnelles (de la religion majoritaire de la
population elles sont implantées.) D’une part, la loi de 1841 renforce le
caractère confessionnel de l’école primaire.
D’autre part, en ce qui concerne l’aspect économique, la loi de 1845
introduit la contribution scolaire volontaire, c’est-à-dire que les collectivités
locales devaient participer à son financement par le moyen d’une taxe
foncière. Malheureusement, cette dernière loi n’eut pas les résultats
escomptés. Elle entraîna la fermeture de la plupart des écoles établies sous le
système des contributions obligatoires. Par cette loi, les curés ont la fonction
de «commissaires d’école», c’est-à-dire qu’ils ont le droit de choisir les
manuels scolaires de caractère religieux et moral. Dans la pratique, les
prêtres décident finalement du choix des maîtres et de celui de tous les livres
scolaires, et d’une manière générale, on peut dire que le caractère
confessionnel de l’éducation s’affirme, sans que cela signifie néanmoins le
contrôle exclusif de l’Eglise sur cette dernière. Cette situation se prolonge au
long du XIXème siècle et les orientations de l’éducation à partir de 1880
marquent, comme le soulignent Nadia Fahmy-Eid et Nicole Thivierge,
(1983: 194): «Il demeure toutefois que les rapports de l’Eglise et de l’Etat au
Québec dans le domaine éducatif ont été marqués par une volonté manifeste
de collaboration entre les deux pouvoirs […] il s’agissait là d’un terrain où la
collaboration entre les deux pouvoirs adopta la forme la plus exemplaire.»
En revenant aux années 1840, elles sont à plus d’un titre, un moment
important dans l’histoire de l’éducation, car elles coïncident avec deux
événements qui auront des répercussions dans ce domaine: d’une part, la
venue de Lord Durham e, d’autre part, l’arrivée de Monseigneur Ignace
Bourget à Montréal.
L’arrivée de Durham a pour objectif annoncé d’enquêter sur l’état général
de la société bas canadienne. De fait, il s’agissait d’étudier les possibilités d’
«assimilation» de la langue et de la culture françaises canadiennes par la
puissance anglophone colonisatrice.
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Toutefois, en arrivant au Canada, Lord Durham y évalue l’état de
l’instruction publique et réalise une analyse fine de la situation qui y est
associée. Il relève ainsi que l’administration britannique ne s’intéresse au
problème de l’éducation que pour s’approprier à son profit les biens des
Jésuites. Il a perçu l’intérêt du clergé catholique pour l’enseignement et sa
défiance vis-à-vis de l’éducation perçue comme monopole d’Etat.
Par ailleurs, l’arrivée de Monseigneur Ignace Bourget en 1840 marque
une étape de l’ultramontanisme: il s’oppose à la mise en place d’une
éducation publique, particulièrement à travers la presse catholique ; les
«Mélanges religieux» deviendront rapidement son porte-parole.
1.4. La figure de l’instituteur laïc au Bas Canada.
André Labarrère- Paulé dans son article «L’instituteur laïque canadien
français au XIXème siècle» s’intéresse à une pièce centrale du processus
d’alphabétisation du Québec. Il s’arrête d’abord sur l’emploi du terme
«instituteur» en France pendant la Révolution de 1789 et qui apparaît au
Canada entre 1822 et 1825. Les années 40 voient les nuages s’amonceler dans
les cieux pédagogiques de «l’école neutre» et assistent aussi à l’éveil des
instituteurs laïcs. C’est notamment le moment naissent leurs diverses
associations. Les écoles normales sont créées en 1836 et fermeront
définitivement en 1842, elles n’auront le temps de former que quatre
normaliens et dix-sept normaliennes, selon Andrée Dufour. En 1855-1857,
Chauveau, le surintendant de l’instruction publique du Bas Canada donne
un rôle de premier plan aux instituteurs laïcs. Ensuite, jusqu’aux années
1875, on observe la fondation d’une presse pédagogique et une mise en
application de nombreuses améliorations. A cause des événements en
France (la Commune «impie» et les lois scolaires de Jules Ferry et de son
«école gratuite, laïque et obligatoire»), on accuse les instituteurs laïcs de tous
les maux, et particulièrement d’être les apôtres du laïcisme.
André Labarrère- Paulé tire donc plusieurs conclusions de son étude.
Tout d’abord, il relève que l’instituteur laïc est le véritable créateur et
organisateur de l’enseignement primaire au Bas Canada, et qu’il n’a rien à
envier à ses collègues des Etats-Unis ou d’Europe, puisqu’il est parmi les
premiers à publier des manuels pédagogiques. Par ailleurs, la presse
enseignante laïque est d’une grande vitalité. Sa supériorité pédagogique
s’accompagne d’une prépondérance numérique qui devra finalement faiblir
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devant l’afflux des religieux chassés de France par la loi de séparation de
l’Eglise et de l’Etat de 1905. Ce dernier fait n’est qu’une illustration parmi
d’autres que l’histoire de l’instituteur laïc au Canada français ne peut se
comprendre sans l’obsession et la peur de l’exemple français. L’opposition se
radicalise encore plus à partir des années 1880 qui voient l’affrontement des
ultramontains et des laïcs.
1.5. La figure de l’institutrice laïque au Bas Canada.
Andrée Dufour, plus de trente ans après cette étude d’André Labarrère-
Paulé que nous venons de présenter entend, grâce à de nouvelles sources,
corriger l’image souvent véhiculée de maîtres le plus souvent incompétents
et sous-payés, (portrait qui accuse ce trait particulièrement pour les
institutrices rurales). André Labarrère- Paulé n’est d’ailleurs pas le seul visé
puisque l’on trouve ces jugements et appréciations aussi sous la plume de
Maurice Lajeunesse ou de Fernande Roy. Andrée Dufour cherche à projeter,
après d’autres historiennes, une image plus nuancée. Elle rappelle d’abord la
féminisation du corps enseignant, qui s’est généralement produite à partir
de la seconde moitié du XIXème siècle en Amérique du Nord. Elle montre
aussi que dans cette zone, (1998: 524) «les femmes deviennent majoritaires
dans l’enseignement primaire durant le dernier quart du XIXème siècle. Le
cas du Québec diffère toutefois de ce modèle. L’arrivée massive des femmes
s’y est produite beaucoup plus tôt, en fait dès la première moitié du XIXème
siècle.»
En étudiant la même période, Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques
soulignent qu’à Québec, les jeunes filles francophones accèdent à la section
féminine de l’école normale Laval, dirigée par les Ursulines. A Montréal,
elles se préparent à l’examen du Bureau des examinateurs en fréquentant
l’académie Marchand (1869-1941) ou l’académie Marie-Rose (fondée en 1876
par les religieuses des Saints Noms de Jésus et de Marie) dans la paroisse
Saint Jean-Baptiste de Montréal.
D’autre part, Andrée Dufour, pour contrebalancer l’argument des bas
salaires octroyés aux institutrices et instituteurs laïcs, donne une autre
explication à ce choix professionnel en insistant sur leurs options et
décisions personnelles:
Les femmes bas canadiennes un tant soit peu instruites
trouvèrent en effet dans l’enseignement l’une des rares
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occasions qui leur étaient offertes de gagner leur vie.
Elles percevaient le métier d’institutrice comme une
excellente préparation à leur futur rôle de mère. Il
apparaît également que plusieurs femmes furent aussi
désireuses de mettre avantageusement à profit des
connaissances relativement étendues acquises dans les
établissements du Bas Canada ou à l’étranger.
4
Enfin, à l’aide de données objectives et comparées, elle montre que la soi-
disant «passivité» et «incompétence» des institutrices rurales relève plus
d’un mythe que d’une quelconque réalité. En effet, ces dernières possédaient
une expérience de plusieurs années (bien qu’elles soient généralement
jeunes) et avaient la formation jugée adéquate par les instances éducatives.
Rappelons en effet qu’étant donné le faible niveau d’exigence des contenus à
enseigner en primaire, elles dépassaient largement le contrat «minimum» et
comme le souligne Andrée Dufour, (1998: 522) «elles ont apporté une
contribution essentielle à l’entreprise de scolarisation de l’ensemble de la
jeunesse bas canadienne».
1.6. L’instruction des jeunes filles.
Nadia Fahmy-Eid et Micheline Dumont, dans leur ouvrage Maîtresses de
maison, maîtresses d’école. Femmes, famille et éducation dans l’histoire du Québec
commencent par s’interroger sur la notion d’ «éducation des filles.» Elles en
justifient premièrement l’étude, elles en relèvent ensuite les sources
possibles dont beaucoup, à l’époque de la rédaction de leur ouvrage sont
encore largement sous-exploitées, (par exemple les archives des
congrégations religieuses féminines ayant pour vocation première
l’enseignement des filles, ou encore les archives des hôpitaux et des
universités qui présentent des fonds sur certains programmes
professionnels, articles de revues, car le thème de l’éducation des filles est
particulièrement à la mode, etc.)
La première idée qu’elles développent est qu’au moment de la
généralisation des réseaux d’accès à l’instruction, (1983: 27) «il existe déjà
une théorie sur l’éducation des filles qui est un discours «contre» une
instruction des filles qui serait identique à celle des garçons.»
4
Andrée DUFOUR, Ibid., p. 532.
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Si l’éducation désigne un processus complexe et néral de socialisation
et de transmission des valeurs, (on s’éduque à l’école, mais aussi dans la
famille, au travail, au village…), le terme d’ «instruction» concerne de
manière plus spécifique la formation intellectuelle. De ce fait, (1983: 30):
dans la question «histoire de l’éducation des filles», c’est
le plus souvent l’instruction formelle de niveau post-
primaire qui est abordée, car c’est à ce niveau seulement
que la spécificité féminine semble se formaliser
A ce propos, Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques écrivent (1999: 48)
Chez les francophones, les jeunes filles peuvent étudier
dans les écoles primaires élémentaires et supérieures,
ainsi que dans certaines écoles spéciales. Elles n’ont pas
encore le droit de poursuivre leur formation dans un
collège classique, ni, par conséquent, de s’inscrire à
l’université.
Il est à souligner qu’à l’inverse, du côté anglophone, certaines universités
commencent à s’ouvrir aux femmes et à leur délivrer des diplômes.
Il nous faut encore souligner l’importance d’une institution déterminante
pour les jeunes filles francophones, celle du «pensionnat pour jeunes filles».
En 1871, le Québec en compte 120, 10 ans plus tard, il y en a 66 de plus. Ces
institutions établissent une distinction très nette entre l’externat destiné aux
jeunes filles d’origine modeste et l’internat (ou le pensionnat) pour les jeunes
filles de famille aisée. Nadia Fahmy-Eid et Micheline Dumont citent la thèse
de Marie-Paule Malouin sur L’Académie Marie-Rose qui propose l’hypothèse
selon laquelle le réseau privé de pensionnats a permis de financer un réseau
public d’écoles destinées aux pauvres, de façon à remédier en quelque sorte,
à la passivité des autorités politiques.
Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques insistent sur cette différence
sociologique:
En établissant, dans leurs couvents, une distinction
fondamentale entre l’externat financé par la commission
scolaire, destiné aux jeunes filles d’origine modeste, et le
pensionnat à la charge des parents, pour les jeunes filles
de bonne famille, les religieuses instituent deux réseaux
catholiques d’enseignement: l’un public, l’autre privé.
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L’académie Marie-Rose, fondée en 1876 par les
religieuses des Saints Noms de Jésus et de Marie dans la
paroisse Saint-Jean Baptiste de Montréal, constitue un
exemple de ce genre d’écoles les élèves sont réparties
selon leur classe sociale d’origine.
5
Le pensionnat ne permet pas d’obtenir un diplôme proprement dit, il ne
prépare pas non plus à un métier particulier. Pourtant, Maurice Lemire et
Denis Saint-Jacques notent que (1999: 49) «L’absence de diplôme ne signifie
toutefois pas une incurie dans les programmes d’études, que surveille
d’ailleurs l’Instruction Publique.» Mais Nadia Fahmy-Eid et Nicole
Thivierge font preuve de lucidité en écrivant: (1983: 206) «En fait, les
débouchés naturels des études suivies par les filles francophones se
réduisent à la vocation religieuse, à l’enseignement ou à l’attente du « prince
charmant» à l’ombre du foyer.» Nous pouvons noter aussi en toute
objectivité, que même si les programmes d’études s’adaptent très
graduellement aux besoins des élèves qui les fréquentent, les cours offerts
respectent scrupuleusement la division sexuée du travail. Nous citerons à
titre d’exemple les nombreux cours de coupe de vêtements ou la création à
Roberval en 1882 de la première école ménagère agricole.
1.7. L’Université.
Les débuts de l’industrialisation mettent à jour de nouveaux besoins et
les esprits les plus éclairés réclament une formation scientifique. Pourtant
cette prise de conscience sera assez longue et l’Université francophone
continuera pendant longtemps à favoriser un enseignement humaniste et
littéraire sans pour autant diversifier l’offre de formation.
Un autre point de différence tout à fait net entre les universités
francophones et les universités anglophones est que les professeurs
francophones ne réalisent pas véritablement de recherche, même si certains
produisent de véritables travaux d’érudition. (Hubert La Rue, par exemple).
La raison qui leur fait privilégier l’aspect d’enseignement de leur travail est
tout simplement qu’ils sont obligés de combiner les cours qu’ils donnent à
L’Université avec un autre travail, à cause de la modestie des salaires.
5
La Vie Littéraire au Québec, op. cit., p. 48.
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A Québec, en plus de sa chaire de droit, Jacques
Crémazie est recorder de la ville de Québec; le professeur
François Langelier est successivement député, ministre
et maire de Québec, en plus de pratiquer dans un
cabinet privé. A Montréal, Joseph-Adolphe Chapeau est
professeur de droit tout en poursuivant une carrière
politique; Louis-Amable Jetté combine également
plusieurs activités: carrière politique et publique,
collaboration aux journaux, pratique privée,
enseignement.
6
A cela s’ajoutent les querelles religieuses: en s’appuyant sur la création de
l’Université Laval en 1852, Mgr Bourget demande une université autonome
pour Montréal de sensibilité ultramontaine, car il reproche à l’Université
Laval d’être trop libérale. Cependant, il n’obtient pas gain de cause car Rome
refuse de créer deux universités catholiques, faute de ressources.
Si nous avons vu dans cette brève esquisse de l’histoire de l’éducation au
Québec au XIXème siècle l’importance terminante de l’Eglise, nous
découvrirons également le rôle déterminant qu’elle joue dans l’histoire de la
lecture.
2. Où lire?
2.1. La lecture publique au Québec.
Il est important de situer le contexte de la lecture publique en perspective
comme le fait Yvan Lamonde qui, dans son article «La librairie Hector
Bossange de Montréal (1815-1819) et le commerce international du livre»,
rappelle que l’imprimé montréalais avant 1820 est d’abord religieux et
catholique avec des ouvrages de doctrine, d’instruction chrétienne et de
dévotion. En seconde place, on trouve les calendriers (le plus souvent d’une
page) et les almanachs et en troisième place, les publications scolaires.
Maurice Lajeunesse quant à lui, distingue les deux principaux genres de
bibliothèques de la Nouvelle-France (2004:10): «la bibliothèque de
communauté religieuse, notamment celle des Sulpiciens montréalais, du
Séminaire de Québec et surtout du Collège des Jésuites, et la bibliothèque
privée de curé, d’entrepreneur et d’administrateur colonial.»
6
Jean HAMELIN et Jean PROVENCHER, Brève Histoire du Québec, Boréal, Montréal, 1987, p. 53.
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Cependant, après la Conquête britannique, un nouveau type de
bibliothèque apparaît: c’est la «circulating library»:
Ce genre de bibliothèque populaire était déjà très
développé en Grande-Bretagne et dans les colonies
américaines. Dans cette bibliothèque apparaissait déjà la
notion de service et d’accès au livre; il s’agissait en
somme d’une librairie les livres pouvaient être loués
moyennant un prix et des conditions fixées par le
bibliothécaire-libraire.
7
La première véritable bibliothèque publique est celle de Québec, la
Bibliothèque de Québec /The Québec Library, créée en 1779, par le
gouverneur Frederick Haldimand. Ce dernier, loin d’être un humaniste
désireux de donner le goût des Belles-lettres à la population voyait
essentiellement dans sa création un véritable instrument de propagande
pour développer de meilleurs sentiments à l’égard des Anglais. Lors de sa
création, cette bibliothèque publique arborait une collection à moitié
française, mais au long du XIXème siècle, celle-ci deviendra pratiquement
anglaise.
La Bibliothèque de Québec fit une émule à Montréal avec la création de la
Bibliothèque de Montréal/ The Montreal Library en 1796 qui connaîtra la
même évolution que la bibliothèque de Québec.
La lecture collective et publique à Montréal de 1815 à 1820 appelle
plusieurs commentaires: la bibliothèque de collectivité montréalaise est un
phénomène essentiellement anglophone. La Montréal Library/ Bibliothèque
de Montréal est bilingue, mais peu à peu, les ouvrages en anglais gagnent
encore une fois de plus en plus de place. Par ailleurs, les membres payant la
souscription voient la part des francophones baisser de manière tout à fait
significative (2004: 12) «au début du XIXème siècle, elle est une bibliothèque
de souscription bilingue avec 40 francophones sur 168 membres; en 1819,
71membres, dont 13 francophones, demandent sa constitution en société à la
Chambre d’Assemblée du Bas-Canada.»
7
Marcel LAJEUNESSE, «les bibliothèques québécoises: les avatars de leur rôle social à travers les
âges.» in Lecture publique et culture au Québec, XIXème et XXème siècles, Presses de L’Université
du Québec, Québec, 2004, p. 10.
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Cette bibliothèque est d’ailleurs surtout consacrée à la lecture des
journaux. Les deux seules véritables bibliothèques de collectivité en milieu
francophone sont celles du séminaire presbytère de Notre-Dame et du
Collège de Montréal, deux institutions sulpiciennes.
Mais les années 1840 marquent un tournant dans l’histoire de la lecture
publique au Québec. En effet, sous la direction de Mgr Bourget, l’Eglise
prend ses marques et cherche, grâce à la fondation des bibliothèques
paroissiales, à lancer une dynamique, certes contrôlée, mais réelle, de
création de bibliothèques et de lecture.
2.2. Les bibliothèques paroissiales
Loïc Artiaga, dans son œuvre Des torrents de papier. Catholicisme et lectures
populaires au XIXème siècle montre qu’au milieu du XIXème siècle, le curé est
le premier bibliothécaire du peuple. C’est précisément pour cette raison qu’il
choisit avec soin le type de lecture qu’il peut offrir. En effet, Lc Artiaga
relève que les années 1840 sont un seuil en ce qui concerne la surveillance de
la lecture dans la mesure (2007: 22): «A partir de 1841 et jusqu’à la fin du
siècle, ce sont plus de 220 textes prescriptifs ou proscriptifs qui sont diffusés
dans les diocèses de Montréal et Québec.»
De fait, les clercs se méfient (et c’est peu dire) des idées qui peuvent être
véhiculées par la lecture. Loïc Artiaga, en étudiant les sermons, les lettres
pastorales, les circulaires épiscopales ou autres mandements en établit une
typologie de textes décrivant les mauvaises lectures comme autant
d’animaux pernicieux et dangereux qu’il faut à tout prix exterminer:
Les ecclésiastiques rivalisent de métaphores tirées de
l’Ecriture pour caractériser le mauvais ennemi. Mgr
Bourget, à Montréal, parle en 1841 de «lion rugissant» et
de serpent, mêlant le danger qui de et qui nécessite la
vigilance (St Pierre, 1ère épître, verset 5) et l’allégorie
tentatrice. […]Avec les autres évêques de la province
ecclésiastique de Québec, Ignace Bourget complète ce
bestiaire dans une lettre pastorale commune, assimilant
les livres à des «nuées de sauterelles» ou comparant
l’imprimé à un «scorpion».
8
8
Loïc ARTIAGA, Des torrents de papier, Limoges, Pulim, 2007, p.27.
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Dans l’arsenal de contrôle des lectures établi par le clergé, l’Index joue un
rôle tout à fait fondamental en France il y a fort à faire, (on ne doit pas
perdre de vue la différence de population et du nombre de publications
annuelles) mais le Québec ne semble pas vouloir être en reste et censure en
mettant à l’Index avec rage. Loïc Artiaga écrit ainsi (2007: 34) «la vigueur de
la proscription régionale étonne même les prélats italiens.» De fait, le clergé
québécois est extrêmement sévère. Il met en place ce que notre historien
appelle un «maillage» du territoire et l’Eglise démontre ainsi selon Loïc
Artiaga (2007: 89): «la condition essentielle de sa légitimité dans l’ordre
social nouveau émergeant au XIXème siècle.»
Ainsi, si l’Eglise québécoise s’obsède avec les «mauvaises lectures», elle
ne cherche pas nécessairement à promouvoir la lecture en général, ou du
moins celles qu’elle considère «bonnes». Le réseau des bibliothèques
paroissiales peut se guider grâce à une chronique de la revue L’Echo du
cabinet de lecture paroissial qui comporte la références des bons livres que l’on
peut acheter directement en Europe (d’ailleurs, de cette manière, les
commandes des bibliothèques paroissiales qui pourraient représenter un
chiffre d’affaires important échappent aux libraires canadiens français.)
Pour constituer le fond de la bibliothèque paroissiale, des prêtres ont pris
le soin de constituer différentes listes de lectures autorisées, dûment
contrôlées par les évêques.
Vers la fin du XIXème, les bibliothèques connaissent à nouveau une
certaine vogue, mais les prélats ne baissent pas la garde pour autant:
L’évêque Louis-Nazaire Bégin, de Québec, est convaincu
que les problèmes qui préoccupaient ses prédécesseurs
cinquante ans plus tôt sont toujours d’actualité. Il tente
de relancer l’intérêt dans son diocèse en publiant, dans
une circulaire du 12 février 1894, une longue liste de
livres choisis. Elle commence par l’histoire de l’Eglise,
suivie d’une section sur la vie des Saints. On y
recommande énormément d’ouvrages pieux et plusieurs
livres d’histoire. [...] en somme aux mêmes problèmes, la
même solution, qui se révélera tout aussi inadéquate
pour promouvoir réellement la lecture. Une nouveauté
cependant : une cinquantaine d’ouvrages canadiens
figurent dans la liste de Bégin. L’évêque ouvre ainsi une
petite porte pour la promotion des auteurs nationaux,
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ainsi que pour celle de leurs libraires ou libraires-
éditeurs.
9
Dans cet ordre d’idées, la fondation par le supérieur de Saint-Sulpice,
Joseph-Vincent Quiblier en 1844 de l’Œuvre des Bons Livres de Montréal,
constituée selon le modèle français est une date tout à fait essentielle.
2.3. L’Institut canadien.
Il est fondé à Montréal en 1844 et il se donne comme objectif de diffuser
les connaissances utiles au peuple de manière à l’éclairer, reprenant les
présupposés des Lumières. Il est fréquenté essentiellement par des
commerçants et par la bourgeoisie qui veulent s’instruire, échanger des vues
et progresser dans la confrontation et dans le débat d’idées, en toute liberté.
Cette association culturelle devient très vite associée au Parti rouge, dont les
membres ne sont pas, selon Fernande Roy, des révolutionnaires mais
«simplement des libéraux aux idées parfois radicales.»
Les membres les plus influents de l’Institut canadien considèrent qu’une
bibliothèque publique de bonne qualité est absolument indispensable pour
les francophones de Montréal (23 000 sur 47 000 habitants à l’époque.)
L'institution s’y emploie donc, et parvient ainsi à créer une bibliothèque
importante dans les années 1850 qui, selon Fernande Roy (2000: 75) «contient
la plupart des œuvres libérales des XVIIIème et XIXème siècles, des livres
d’histoire, de même que des romans, les livres les plus empruntés.» Les
membres viennent aussi consulter la collection de périodiques canadiens,
européens et américains.
Malheureusement, les Sulpiciens s’opposent à cette liberté de ton et
organisent des structurelles culturelles alternatives pour faire concurrence à
l’Institut Canadien: ils mettent ainsi en place un Cabinet de lecture
(conférences), un Cercle littéraire (discussions), une bibliothèque et une
revue culturelle, l'Écho du Cabinet de lecture paroissial, et cherchent à
«redresser» la moralité des activités et des lectures de la collection de
l’Institut Canadien. Pourtant, ces derniers ne l’entendent pas de la même
oreille et bataillent ferme pour garantir leur liberté de penser.
9
Fernande ROY, Histoire de la Librairie au Québec, Ottawa, Léméac, 2000, p. 78.
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En 1858, Mgr Bourget dénonce cette institution en reprochant les
«mauvais livres» qui constituent sa bibliothèque. L’institut tient bon, mais
perd un cinquième de ses membres. Mgr Bourget ne désarme pas et exige
que cette institution expurge sa bibliothèque des livres mis à l’Index. Ses
membres ne l’entendent pas de cette oreille et l’un d’entre eux, Félix Vogeli,
se faisait l’écho de ses congénères, en répondant à Mgr Bourget:
Une bibliothèque est une collection des œuvres de
l'esprit humain : on n'a pas plus le droit d'exclure un
ouvrage mauvais que le naturaliste n'a le droit de rejeter
de son casier une plante sous le prétexte qu'elle est
vénéneuse.
10
Mais la force de conviction du pauvre Vogeli n’y suffira pas et devant le
refus de l’Institut Canadien d’obtempérer, Fernande Roy rappelle que (2000,
76): «L’évêque le condamne comme une société infréquentable pour les
catholiques et sa décision est entérinée par le pape en 1869. Très ébranlé,
l ’Institut canadien perdure encore une dizaine d’années, puis disparaît.»
Quand il fermera définitivement en 1880, le Conseil municipal de Montréal
ne se risquera pas un an plus tard à acheter sa collection pour en faire le
noyau d'une bibliothèque publique. Mais le mouvement général de création
de bibliothèques publiques dans toute l’Amérique du Nord est pourtant déjà
clairement enclenché. Marcel Lajeunesse évoque d’ailleurs à ce propos le
Public Library Movement, qui fait peu à peu des émules et (1997: 8): «Dans les
années 1890, les journalistes Eugène Rouillard et Jules Heibronner (La
Presse), et la Canada Revue se faisaient les promoteurs d'une bibliothèque
publique à Montréal.»
2.4. Les librairies québécoises.
En premier lieu, on ne peut que souscrire aux paroles de Fernande Roy
qui décrit de la manière suivante le libraire (2000: 9): «Acteur culturel, le
10
Cité par Marcel LAJEUNESSE, “La bibliothèque au Québec, une institution culturelle au cœur
des débats sociaux”, in Culture, institution et savoir. Culture française d'Amérique, sous la dir.
d'André Turmel. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1997, p. 8,
[http://classiques.uqac.ca/contemporains/lajeunesse_marcel/biblio_au_quebec/biblio_au_quebec
.doc, consulté le 15 février 2011].
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libraire tisse des liens sociaux multiples et apporte une contribution
essentielle à la diffusion de l’information, du savoir, de la littérature.»
Maurice Lemire, dans son article «Le commerce du livre français au
Canada dans la première moitié du XIXème siècle» analyse différents
libraires québécois emblématiques. Il se situe dans une perspective
historique et rappelle qu’après la Conquête anglaise, il est interdit de réaliser
un commerce quelconque avec la France. La population est coupée
brutalement de sa source d’approvisionnement et il n’y a pas non plus
d’infrastructure qui puisse permettre l’approvisionnement en livres français.
A l’inverse, les protestants qui voient dans le livre un «puissant moyen
d’apostolat» publient à partir de 1764 un journal bilingue (grâce à une
imprimerie qu’ils ont installée), ouvrent des librairies et des bibliothèques.
Force est de constater qu’on y trouve bien peu de livres français. Il n’est
donc pas étonnant que cette période voie se réaliser la loi économique selon
laquelle «la rareté fait la cherté» et on réimprime alors seulement (1997: 351)
«les livres essentiels comme le Catéchisme du Sens et le Code civil, des
Abécédaires et des livres de piété.»
De 1800 à 1840, à Québec, les trois libraires les plus importants sont en
même temps journalistes; il s’agit de John Neilson, de La Gazette de Québec,
de Thomas Cary junior, propriétaire du Québec Mercury, de Jean-Baptiste
Fréchette, copropriétaire du Canadien. On trouve la même situation à
Montréal le libraire le plus prospère du début du XIXème siècle, James
Brown est propriétaire de la Gazette de Montréal.
En 1815, la conjoncture politique plus favorable marque la possibilité
d’une reprise du commerce et Martin Bossange envoie son fils Hector
Bossange à Montréal pour y vendre des livres français.
Les libraires sont concentrés à Montréal et à Québec, Bossange publie un
catalogue qui laisse apparaître une claire domination des livres à thématique
scientifique (Maurice Lemire, 1997: 352): «106 titres en religion, 56 en droit et
jurisprudence, 63 en histoire, 134 en sciences et arts, 89 en belles-lettres.
Curieusement, les ouvrages religieux ne dominent pas, peut-être parce que
le clergé avait d’autres moyens de s’approvisionner. Hector Bossange
semble donc s’être spécialement bien intégré dans la société montréalaise et
avoir mis en place une librairie où «l’offre répondait à la demande.»:
Le livre se vend surtout en fonction d’activités
professionnelles. Ce sont des prêtres, des enseignants,
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des avocats, des médecins qui achètent des œuvres
indispensables à l’exercice de leur profession. Toutefois,
cette rubrique suffisamment élaborée indique que
certains lettrés montent leur bibliothèque personnelle
non avec des nouveautés, mais avec des classiques.
11
Maurice Lemire note que près de la moitié des livres de religion sont des
livres de dévotion destinés aux femmes. Certains titres leur sont
particulièrement destinés, comme Règle de bienséance, Civili chrétienne,
l’Almanach des Dames, Conseils à une femme sur les moyens de plaire en société,
l’Encyclopédie de beauté et de toilette des dames.
Quatre ans après son arrivée, Hector Bossange repart en France avec sa
femme canadienne, il a démontré le potentiel du marché canadien pour la
librairie française. Son beau-frère, Edouard-Raymond Fabre en recueille les
fruits, car c’est lui qui reprend la librairie Bossange à son nom et en peu de
temps (Lemire, 1997: 353) «il devient un des hommes d’affaires canadien-
français les plus prospères.» Pourtant, avec le temps, Hector Bossange perd
le contact avec les besoins de la population canadienne et voudrait l’utiliser
purement et simplement comme un moyen d’écouler ses invendus. A
l’inverse, Fabre reste très attentif aux besoins de son public et même si ces
sympathies politiques l’attirent vers les libéraux, il prend clairement
conscience du désir de l’Eglise de dominer le monde de la lecture. L’analyse
du catalogue de ses ventes reflète clairement cet état de chose. La proportion
de livres religieux passe ainsi de 32,9% en 1830 à 53,2% dans l’inventaire
après décès. Après les livres religieux, viennent les manuels scolaires et les
livres de pédagogie, puis ceux de philosophie et de lettres.
La librairie Fabre perd peu à peu son monopole avec l’arrivée et
l’installation d’autres libraires, et le propriétaire commence à diversifier les
produits qu’il vend: objets de culte et produits de luxe comme vins,
fromages, dentelles, parfums. De fait, plus que comme une librairie
remplissant une fonction culturelle, Fabre considère sa librairie comme un
commerce qui doit générer un profit.
11
Maurice LEMIRE, «Le commerce du livre français au Canada dans la première moitié du
XIXème siècle.», in Le commerce de la librairie en France au XIXème siècle 1798-1914 sous la
direction de Jean-Yves MOLLIER. ; IMEC éditions (Institut des Mémoires de l’édition
contemporaine), Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1997, p. 352.
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Maurice Lemire présente ensuite la librairie d’Octave Crémazie, la plus
importante de Québec de 1844 à 1862. En ouvrant une librairie dans les
années 1840, il répond à un véritable besoin:
Tous les libraires sont alors de langue anglaise. Autant
dire qu’il y a une grande disponibilité pour le livre
importé de France. D’autres facteurs comme la mise en
place d’un système d’instruction publique (1846), la
fondation de L’Œuvre des bons livres et la mise sur pied
de bibliothèques paroissiales dans l’étendue de la
province augmentent la demande de livres.
12
Maurice Lemire montre bien qu’Octave Crémazie reste assez
conservateur dans ses choix: Les Paradis artificiels de Baudelaire est par
exemple le seul ouvrage d’une certaine modernité.
Il garde en tête le profil de son client habituel : un jeune
homme disposant d’assez peu de ressources qui monte
sa bibliothèque personnelle avec des ouvrages de valeur
reconnue, des grands classiques comme Bossuet,
Boileau, Racine et Corneille, Cervantès, Shakespeare et
les œuvres plus récentes de Hugo, Lamartine Musset,
Balzac, George Sand. Le catalogue vise cependant une
catégorie de lecteurs plus populaire avec des titres
d’Alexandre Dumas, Fenimore Cooper, Octave Feuillet,
Emile Souvestre.
13
Le choix de Lemire d’évoquer Octave Crémazie est tout à fait justifié
dans la mesure Jacques Michon et Josée Vincent montrent dans leur
article «La librairie française à Montréal au tournant du siècle» que (1997:
359): «Le commerce du livre connaît un développement important au
Québec dans la deuxième moitié du XIXème siècle […] de 1844 à 1862, vingt-
cinq nouveaux commerces ouvrent leurs portes à Québec.»
Il est vrai que les librairies québécoises (de Québec et de Montréal)
connaissent une période d’expansion dans la deuxième partie de XIXème
siècle et qui peut nous inviter à observer les stratégies des libraires avisés qui
12
Id., p. 355.
13
Id., p. 357.
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ont su mener à bien leur affaire. Le veloppement des voies ferrées et
l’amélioration du système postal permettront surtout à Montréal à la fin du
siècle de profiter d’une expansion du marché, alors que Québec voit peu à
peu son rôle se réduire à celui d’une capitale de province.
Jacques Michon et Josée Vincent montrent bien l’évolution du métier au
long du XIXème: si au début du siècle, le libraire est surtout imprimeur, à la
fin, il est essentiellement libraire, exerçant à l’occasion les fonctions d’éditeur
(ce que les auteurs appellent «une édition de recyclage») spécialement avec
la réédition d’ouvrages tombés dans le domaine public.
Nos auteurs s’intéressent aussi à la fonction de «médiateur de lecture
exercée par le libraire. (1997: 362) «Il ne fait pas qu’augmenter et diversifier
l’offre, il a aussi un impact qualitatif sur son milieu en proposant ses choix et
en établissant des hiérarchies dans les collections et les ries dont il fait la
promotion.»
Cette sélection du libraire n’est pas le fait de son libre choix, mais pour
atteindre un certain succès, il est bienvenu de respecter les recommandations
du clergé, telles que Romans à lire et romans à prescrire de l’abbé Bethléem, ou
Les Ravages du livre de Mgr Pelaez. A titre d’exemple, les auteurs observent le
catalogue de Garneau, dont chaque ouvrage a été sélectionné; ainsi, parmi
les titres de Flammarion, (1997: 365), «le libraire a retiré les Nouveaux Essais
sur l’entendement humain de Leibniz, la Divine Comédie de Dante et De
l’Emile de Rousseau. […] si le libraire a cru bon de maintenir les morceaux
choisis de Bossuet et de George Sand, il a fait disparaître ceux de Diderot, de
Victor Cousin, de Rabelais, de Lesage et de Beaumarchais.»
En revenant un peu en arrière chronologiquement, c’est-à-dire vers la
moitié du XIXème siècle, Lemire établit que les libraires canadiens ne se sont
pas laissés convaincre par la publicité française cherchant à leur imposer les
nouveautés. Ils ont d’abord cherché à satisfaire les besoins d’un lectorat de
plus en plus encadré par le clergé. Même si une classe de lettrés voit
lentement le jour vers 1860, on note clairement une nette différence entre le
lectorat français et le lectorat canadien. Et il faudra attendre encore
longtemps avant que les œuvres qui annoncent la modernité n’apparaissent
dans les librairies canadiennes.
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2.5. Les cabinets de lecture.
Nous avons longuement présenté dans la première partie consacrée à la
France le phénomène des cabinets de lecture, magistralement étudié par
Françoise Parent-Lardeur. Il semble important de rappeler que le cabinet de
lecture naît au départ à cause du prix élevé des livres, des journaux et des
périodiques. Pourtant, cette réalité est beaucoup moins importante au
Québec et les sulpiciens montréalais, Français d’origine proposent d’adopter
la formule (tout en surveillant rigoureusement le contenu des collections).
Le Cabinet de lecture paroissial (et cet adjectif a son poids!) est donc
constitué d’une bibliothèque (permettant aussi la consultation des journaux
et des périodiques) et les fondateurs veulent y créer une tribune, comme
l’Institut Canadien. Pourtant à la différence de ce dernier, Marcel Lajeunesse
souligne les différences (1982: 66): «la tribune du cabinet serait une tribune
d’enseignement uniquement magistral. Il n’y aurait pas de place pour la
discussion, pour l’émulation, l’éducation mutuelle propres aux associations
volontaires.»
En 1856, le sulpicien Louis Regourd est directeur de l’Œuvre des bons
livres et met sur pied un cabinet de lecture auquel il donne le rôle (Marcel
Lajeunesse, 2004: 45): «d’attirer les jeunes gens, par l’existence d’une
bibliothèque, d’une chambre de nouvelles et d’une salle de réunions de
grande dimension, et de contrebalancer «le mal causé par de mauvaises
bibliothèques publiques», en l’occurrence l’Institut canadien de Montréal.»
Le Cabinet de lecture sera inauguré le 17 janvier 1857. Marcel Lajeunesse
décrit l’ampleur qu’eut sa création, grâce aux activités qu’il organisa (De fort
nombreuses conférences publiques y avaient lieu, la bibliothèque était
ouverte de 9h à 17h, la salle de lecture des journaux de 7 heures à 21 heures)
et il souligne le prestige qui se prête à cette institution. Certes, ce n’était pas
la seule association littéraire catholique de Montréal à l’époque, mais elle
était certainement la plus réputée. (1982: 76): «La construction de cet
imposant Cabinet de lecture eut un impact considérable sur la société
montréalaise. Certains virent dans les séances du Cabinet «une ébauche de
facultés universitaires» comme l’écrit Maurice Lajeunesse.
Parmi les alisations du cabinet de lecture, on peut également citer le
Cercle Littéraire d’une part, et la fondation de la revue L’Echo du Cabinet de
lecture paroissial, d’autre part, en 1859. Cette publication est bimensuelle
jusqu’en 1867 puis devient mensuelle de 1867 à 1873. L’Echo du Cabinet de
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lecture paroissial cherche aussi à favoriser l’émergence d’une littérature
canadienne (jusqu’à la fondation de la Revue canadienne en 1864.)
En ce qui concerne le Cercle littéraire, il faut insister sur le fait que ses
objectifs différaient de ceux du Cabinet de lecture. Il s’agissait, en effet, de
(1982 :124) «répandre, surtout parmi les jeunes gens, l’amour des bons
principes et de la saine littérature sous le patronage de Monsieur le
Supérieur du Séminaire de Saint-Sulpice à Montréal.» Les activités étaient
clairement établies: il s’agissait tout d’abord, de lire le procès-verbal de la
réunion précédente, puis de réciter un texte d’un auteur choisi, réalisant
un exercice de «déclamation». Ensuite, les membres du Cercle littéraire
faisaient la lecture d’un essai rédigé par l’un d’entre eux, puis ils
organisaient une discussion dont le sujet avait été annoncé deux semaines à
l’avance. Maurice Lajeunesse cite par exemple en 1860 des questions
relatives au journalisme, en 1861, l’étude des Légendes Canadiennes de l’Abbé
Casgrain, en 1862-1863, se mit en place une initiation à l’économie politique.
Il s’agissait, en réalité, de compléter les études classiques. Notre auteur
observe à partir des années 1867, une orientation des discussions vers des
questions philosophiques et sociales.
Le Cercle littéraire voulait compléter les études
philosophiques et littéraires des futurs avocats
principalement. Il favorisait des relations plus étroites
parmi les jeunes gens instruits de Montréal. Il complétait
aussi les conférences du Cabinet de lecture et donnait
accès à la tribune du Cabinet de lecture.
Le Cercle littéraire ouvrait, par son action, une nouvelle
forme d’action catholique pour une clientèle particulière.
Il témoignait, à sa manière, d’une société profondément
changée. Il montrait enfin une Eglise catholique dont
l’emprise commençait à s’exercer partout.
14
Le Cabinet de lecture organise aussi des conférences publiques: Marcel
Lajeunesse considère que l’appellation même de «cabinet de lecture» est une
appellation certainement influencée par l’anglicisme «lecture» au sens de
conférence. Il en dénombre d’ailleurs 149, prononcées de 1857 à 1867,
14
M. LAJEUNESSE, Les Sulpiciens et la vie culturelle à Montréal, Fides, Montréal, 1982, p. 137.
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l’ensemble des conférenciers étant alors constitué à 60% par des laïcs, et à
40% environ par des clercs. Certes, L’Institut canadien pratiquait ces mêmes
activités depuis sa fondation, mais cela n’empêche pas de souligner la
vitalité de l’institution et des activités proposées. Et Marcel Lajeunesse de
conclure (2004: 47-48) «…Le cabinet de lecture s’apparentait plus au type
anglo-saxon d’association littéraire qu’au modèle du cabinet de lecture de la
Restauration et de la Monarchie de Juillet […] le cabinet de lecture fut, à la
fin de la décennie 1850 et tout au long de la décennie 1860, un foyer
prestigieux et puissant d’orthodoxie face à l’Institut Canadien qui l’était de
moins en moins.»
Enfin, Marcel Lajeunesse étudie la transformation du Cabinet de lecture
paroissial qui deviendra en 1884 le Cercle Ville Marie.
La première raison de cette transformation est qu’après la décision du
Vatican d’établir à Montréal un enseignement universitaire catholique, les
Sulpiciens laissèrent leur local à la Faculté de Droit de l’annexe de
l’Université Laval à Montréal. Lors de la première séance publique du Cercle
Ville Marie, un public nombreux est venu assister à cette conférence, suivie
d’une déclamation, d’un chant, d’un poème et d’une comédie.
Une personnalité était essentielle dans la relance du Cercle littéraire, c’est
l’abbé Colin. Ce dernier mentionnait souvent les cercles de jeunes gens qui
se développaient en France depuis la guerre de 1870. L’influence d’Albert de
Mun, qui avait couvert la question sociale (c’est-à-dire la question
ouvrière) et considérait que la prise en compte de cette dimension était
indispensable à la «régénération de la France.» a été déterminante dans ce
domaine. Il donnait aux élites le soin de régler cette distance entre les
pauvres et les puissants, et d’éviter ainsi la lutte des classes. Cette sensibilité
toucha un grand nombre de personnes puisqu’en 1880, quatre cents cercles
regroupaient plus de 50 000 adhérents.
Le Cercle Ville Marie offrait des séances privées ou publiques, il était
vraiment considéré comme un haut lieu culturel montréalais.
L’augmentation du nombre de ses adhérents dit assez le succès qu’il a
connu, ils étaient formés essentiellement par les étudiants à l’université ou
les jeunes diplômés.
Nous avons ainsi pu observer l’importance du rôle joué par l’Eglise dans
tous les processus liés à la lecture. Dans le domaine de l’éducation ou dans
celui de la lecture publique, rien n’échappe à sa surveillance serrée. Laure
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Conan suivra d’ailleurs à la lettre la vigueur des recommandations de cette
puissante institution en s’efforçant d’écrire des œuvres fidèles à sa doctrine.
Bibliographie
ARTIAGA, Loïc, Des torrents de papier, Limoges, Pulim, 2007.
DUFOUR, Andrée, «Les institutrices rurales du Bas-Canada: incompétentes et
inexpérimentées?», Revue d’Histoire de l’Amérique Française, vol. 51, no
(printemps 1998).
HAMELIN, Jean et PROVENCHER, Jean, Brève Histoire du Québec, Boréal,
Montréal, 1987.
LAJEUNESSE, Marcel, Les Sulpiciens et la vie culturelle à Montréal, Montréal,
Fides, 1982.
_____, «La bibliothèque au Québec, une institution culturelle au cœur des
débats sociaux.», in Culture, institution et savoir. Culture française
d'Amérique, sous la dir. d'André Turmel. Québec: Les Presses de
l'Université Laval, 1997, 230 pp.
LEMIRE, Maurice, «Le commerce du livre français au Canada dans la
première moitié du XIXème siècle.», in Le commerce de la librairie en France
au XIXème siècle 1798-1914 sous la direction de Jean-Yves MOLLIER. ;
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souviens », in La Vie littéraire au Québec, Tome IV (1870-1894). Québec,
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OUELLET, Fernand, «L’enseignement primaire: responsabilité des églises ou
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