ISSN: 2171-6633
Estudios Franco-Alemanes 11 (2019), 63-74
BELLE INFIDÈLE
AURORA MARÍA GARCÍA MARTÍNEZ
Universidad de Castilla-La Mancha
Aurora.Garcia.@uclm.es
Fecha de recepción: 23.11.2018
Fecha de aceptación: 15.02.2018
sumé: Constant dHermenches, Benjamin Constant, Charles-Emmanuel de
Charrière, Camille et Pierre Malarmey ont tous un point en commun, une femme:
Isabelle de Charrière. Ces hommes, entre autres, parsemèrent le chemin de Belle et
jouèrent un rôle important dans sa vie monotone. Par les documents reccueillis dans
cet article, il nous sera possible de savoir si ce rôle se limita à une innocente amitié ou
alors, traversa les frontières de la décence faisant de Belle une infidèle.
Mots clés : Charrière, Constant, Staël, Belle, amant, infidélité
BELLE INFIEL
Resumen: Constant dHermenches, Benjamin Constant, Charles-
Emmanuel de Charrière, Camille y Pierre Malarmey tienen todos un punto
en común, una mujer: Isabelle de Charrière. Estos hombres, entre otros, se
cruzaron en el camino de Belle y jugaron un papel importante en su
monótona vida. Los documentos recopilados en este artículo nos permitirán
averiguar si dicho papel solo fue una inocente amistad o traspasó las
fronteras del decoro haciendo de Belle una infiel.
Palabras clave: Charrière, Constant, Staël, Belle, amante, infidelidad
Selon le thésaurus, l’infidélité peut être une violation du devoir de
fidélité entre époux, l’action de tromper son partenaire. Celle-ci peut se
penser ou se commettre. Pour les femmes, au XVIIIe siècle, les opportunités
de la perpétrer étaient limitées mais elles existaient. Belle en était consciente
et dans cet article, nous parlerons de ses infidélités, des hommes importants
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de sa vie dans le but d’élucider si elle fut infidèle uniquement à travers ses
écrits ou d’une façon plus charnelle.
Isabella Agneta Elizabeth van Tuyll van Serooskerken (Belle de Zuylen)
voit le jour, le 20 octobre 1740, au château de Zuylen, près d’Utrecht
(Hollande), au sein d’une famille de la noblesse. Dès son plus jeune âge, son
comportement reflétait une pensée battant en brèche tous les préceptes de
son époque. Elle n’aimait pas les règles imposées par son statut sous le nom
de « décence ». Selon Philippe Thireau, ce n’est qu’à 14 ans qu’elle
commença à correspondre avec des officiers et il mentionne sa relation sans
conséquence avec Pieter von Dönhoff, officier polonais.
Jeune fille prête pour le mariage, elle refusait les prétendants qui lui
étaient présentés, comme, par exemple, le célèbre biographe James Boswell.
Et ceux-ci, à leur tour, ne voulaient pas d’une épouse « hors-normes ».
C’est lors d’un bal à la Haye, en 1760, qu’elle fit la connaissance du baron
David-Louis de Constant d’Hermenches (1722-1785), capitaine au service
des États-Généraux. Il avait 28 ans de plus qu’elle et était marié, mais cela ne
la retint pas le moins du monde. Dans une de ses lettres qui lui était
adressée, en date du 27 juillet 1764, elle détaille leur rencontre plutôt osée :
L’essentiel est que vous êtes content de moi, que si vous êtes surpris, c’est de
me trouver plus vraie, meilleure que vous n’aviez pensé. Si vous trouvez
sincèrement que c’est un bien pour vous de me connaître, je veux que vous
me sachiez g d’avoir fait les premières avances. Vous en souvenez-vous,
chez le Duc, il y a quatre ans ? Vous ne me remarquiez pas mais je vous vis. Je
vous parlai la première : Monsieur, vous ne dansez pas ? pour engager la
conversation. (Godet, 1909 : 86)
Belle ne respectait pas l’étiquette lorsqu’elle rencontrait « ce qui peut
s’appeler une physionomie ». Elle adorait transgresser les mœurs de sa
société et la différence d’âge ne la souciera jamais.
D’Hermenches ne se résista pas aux lettres de Belle. Cela ne devait
certainement pas être la première fois que le baron en recevait, mais celles
d’Isabelle lui furent agréables. Il était mis au courant de ses prétendants et
lui demandait son avis. Elle accepta aussi de se laisser fréquenter par un des
amis intimes de Constant, le marquis de Bellegarde.
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Dans ce sens, Eusèbe-Henri-Alban Gaullieur
1
(1808-1859) détenteur des
lettres de Belle de Charrière des années 1787 à 1795, publia dans le Bulletin de
l’Institut National Genevois
2
, un long article dans lequel nous pouvons
connaître qui furent ses prétendants :
elle fit très-jeune un voyage en Suisse, pendant lequel elle séjourna à Rolle
chez M. de Salgas, ami de sa famille. Ce fut lui qui la décida à épouser M. de
Charrière, non sans beaucoup d'hésitation, parce qu'elle le trouvait un peu
froid et sérieux. Elle avait refusé plusieurs autres partis très-brillants, ou bien,
des obstacles étaient survenus pour faire manquer ses mariages. C'est ainsi
qu'elle ne put épouser le marquis de Bellegarde, de la première noblesse de
Savoie, parce que le pape exigeait qu'elle se fît catholique ; que le lord
Wemmys se retira à cause de quelques difficultés touchant la dot ; que deux
princes d'Anhalt et de Wittgenstein renoncèrent également à sa main.
M. de Charrière conduisit sa nouvelle épouse de Hollande en Suisse, vers
1771, … (Gaullieur, 1855 : 125-128)
Malgré tous ces éventuels époux, elle ne cessait de penser à Constant
d’Hermenches et ne se retint même pas de lui avouer qu’elle pourrait et
serait disposée à être sa maîtresse, s’ils se rencontraient :
Serez-vous content de m’écrire toute votre vie et de ne me jamais voir ? […]
Mais après une correspondance de feu, toujours vive, toujours tendre, on veut
se voir, d’Hermenches : nous nous chercherons si nous ne nous brouillons
pas ; et puis gare la passion, la jalousie, l’instinct, le délire et le désordre ! Si je
ne suis pas à votre ami, si toujours je m’occupe de vous, je serai un jour votre
maîtresse, à moins que nous n’habitions les bouts opposés du monde ou que
vous ne m’aimiez plus du tout. (ibidem: 176)
Ses lettres devinrent de plus en plus sincères ; sans aucune gêne, elle
manifestait qu’après leur rendez-vous, il y aurait moins de lettres et plus de
faits. Plus leur rencontre se confirmait, plus elle dévoilait l’ampleur de ses
sentiments. Le rendez-vous était prévu vers la mi-septembre, voire début
novembre 1764, et les lettres de cette période- furent encore plus torrides :
« Dites-moi si vous êtes fâché ou si vous m’aimez toujours ; vous dire
1
Henriette L’Hardy, mère de Gaullieur, en fut l’héritière.
2
Un an plus tard, le même article sera à nouveau publié, sous le titre : « Études sur l'Histoire
Littéraire de la Suisse Française, particulièrement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ».
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combien cela m’intéresse serait vous dire que je vous aime tendrement. » ;
ou alors « Mes sens vous sont obligés. » ; et encore « … ; vous êtres si occupé
que je pourrais vous embrasser sans que vous vous en aperçussiez. », « Vous
ne voudriez pas que je vous embrassasse ? ». Elle orchestrerait même la
procédure pour ne pas éveiller les soupçons de sa famille et ainsi, pouvoir se
voir en « toute liberté », mais craignait cette situation car elle savait pouvoir
se laisser emporter, « si je vous donnais un baiser » et dans ce cas, qu’elle ne
répondrait pas de ses actes face à « un homme sensuel, libertin » connaissant
les secrets de son cœur. Elle l’aimait vraiment. Quant à lui, il s’adressait à
elle en l’appelant par son prénom Agnès, il buvait à sa santé lors de soupers
chez la sœur de celle-ci et il disait la considérer supérieure à toutes les
femmes hollandaises.
Le moment de la rencontre eut lieu, en 1765. Elle en fut enchantée et
s’était minutieusement préparée pour l’événement. Dans une des lettres
qu’elle lui envoya a posteriori, elle écrivit : « Vîtes-vous bien le peignoir que je
gardai pendant notre long tête à tête ? ». Mais peut-être que tant
d’enthousiasme dut affoler Constant, car il partit sans l’avertir. Il prétendit
un devoir urgent et, aveuglée par les sentiments qu’elle éprouvait, elle le
crut. Le temps passa et ils ne se revirent plus.
Leur correspondance dura de 1760 à 1775. Dans ses lettres, elle en arriva
aussi à lui raconter les démarches entreprises pour la marier, ses fiançailles,
ses sentiments envers son mari, mais le ton des lettres était désormais plus
distant et Constant s’en plaignit. Même devenu veuf, et par conséquent libre,
elle n’en vint plus à lui adresser des lettres aussi enflammées qu’antan.
D’Hermenches mourut le 26 février 1785 et ce n’est que plusieurs mois
après, lors d’un voyage à Paris, qu’elle apprit la nouvelle. Lors de ce
déplacement, elle prétendait lui rendre visite. Elle en fut si chamboulée
qu’elle allongea son séjour.
Charles-Emmanuel de Charrière de Penthaz (1735-1808), précepteur de
ses deux frères, le seul homme qui la connaissait depuis des années, sans
titre ni fortune, fut celui qu’elle choisit. De nouveau, elle passa outre le
devoir d’être décente, car elle passait tant de veillées avec lui qu’il en avait
« des regrets et des désirs ». Le 17 février 1771, elle l’épousa. Elle avait 31 ans
et lui 36. Elle le considéra « un brave homme » comme l’indique Arnold de
Kerchove. Au début, elle l’aimerait sincèrement et voulait être une digne et
fidèle épouse. Pour faire honneur à la vérité, il nous faut rappeler que la
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correspondance avec D’Hermenches allait néanmoins se poursuivre
jusqu’en 1775, soit quatre ans après son mariage. Il est vrai que le contenu
porterait désormais plus sur la situation politique du pays ou sur des faits
divers que sur leurs sentiments. En effet, le temps des aveux d’embrassades
avait disparu.
Belle voulait être reconnaissante envers son époux car leur union lui
permit de quitter Zuylen. Vivre en Hollande l’opprimait et ne la laissait pas
s’exprimer librement tant dans ses écrits que dans son comportement. Elle
était sous le prisme de sa famille, toujours observée et avec la crainte de la
décevoir. Elle préférait s’éloigner de ses origines, de la terre elle avait vu
le jour, pour s’installer en Suisse. Isabelle ne connaissait ce pays qu’à travers
les récits de Rousseau mais elle en était amoureuse. Cette attirance pour ce
qui était français s’était manifestée dès son plus jeune âge avec son
institutrice Mlle Prévost. De plus, sa première publication fut un conte
rédigé en français, Le noble (1763). Elle n’écrivit jamais en néerlandais, de
telle façon que tout ce qu’elle rédigea est en langue française, un français de
Paris, comme beaucoup de critiques littéraires le lui ont reconnu.
Cette nouvelle étape de sa vie loin de sa famille ne se déroula pas
exactement comme elle l’avait imaginée. Le temps passa et toutes les vertus
qu’elle avait trouvées chez son mari et qui l’avaient attirée, lui semblèrent
ennuyeuses, plates et même grises. Elle écrivit même à son frère Ditie, en
mai 1771, que le changement d’état se traduisait uniquement le nom et le fait
de ne plus dormir seule.
Lors d’un séjour à Genève ils s’échappaient des rudes hivers de
Colombier (Neuchâtel-Suisse), elle rencontra un homme dont on ne saura
jamais l’identité. Dans son Cahier rouge (1945), Benjamin Constant dévoilera
cette nouvelle passion : « Un homme beaucoup plus jeune qu’elle, d’un
esprit très médiocre, mais d’une belle figure, lui avait inspiré un goût très
vif. […] Elle en avait été fort agitée. » Ce jeune homme l’abandonna pour en
épouser une autre. Dans son livre, Thireau nous mentionne un nom :
Charles Dapples. Mais nous n’en savons pas davantage : aucune autre
référence ni lettre n’a été retrouvée, sans doute parce qu’elles furent brûlées
et la maison de Genève vendue. Son mari eut connaissance de cette aventure
mais ne la quitta pas pour autant. Néanmoins, leur relation se refroidit. Belle
passa de longues périodes loin de lui, affligée, sans se remettre d’avoir été
abandonnée, d’être infidèle et mauvaise épouse.
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Charles-Emmanuel essaya de sauver son mariage, et sachant qu’elle
aimait voyager et aller à Paris, ils s’y rendaient souvent. Lors d’un de ces
voyages qu’elle prolongea lorsqu’elle apprit la mort du baron
d’Hermenches, en 1786-1787, elle fit la connaissance, dans le salon des
Suard, de son neveu, Henri-Benjamin Constant Rebecque (1767-1830). Elle
croira que le destin y était pour quelque chose.
Constant avait 20 ans et malgré qu’elle en eût presque 30 de plus, il ne
dut pas la considérer comme une “femme âgée”, mais tout au contraire, car
les faits prouvent qu’il tomba sous l’emprise de son charme. Ainsi, il
séjournait fréquemment à Colombier sans soulever les soupçons de M. de
Charrière, en raison de la différence d’âge et de l’amitié qui les unissait. Il y
passa même deux mois, en convalescence, et Charles-Emmanuel permettait
leurs longues conversations, en tête-à-tête, même jusqu’à l’aube, avec « une
ardeur inépuisable ». Celles-ci se poursuivaient depuis la chambre de
chacun d’eux à l’aide de billets qu’ils se passaient de l’une à l’autre. Se
souvenant de ces deux mois, il s’écriait : « Il n’y a qu’un Colombier au
monde ! » comme le recueille son Journal intime (1895).
Aussi, il déclara dans son Cahier rouge, que « nous nous convînmes
parfaitement » et ajouta qu’ils se trouvèrent « des rapports plus intimes et
plus essentiels. ». Il avoua :
La personne qui, […] occupait véritablement ma tête et mon cœur, c’était
madame de Charrière. […] je passai des heures, des nuits entières à causer
avec madame de Charrière, et pendant ces conversations, j’oubliai mes
inquiétudes sur mon père, mes dettes, mademoiselle Pourras et le monde
entier. […] elle était la seule personne avec qui je causasse en liberté, parce
qu’elle était la seule qui ne m’ennuyât pas de conseils et de représentations
sur ma conduite. (Constant, 1945 : 40-41)
Lorsqu’il quittait Colombier, Benjamin lui envoyait une lettre à chaque
arrêt sur son passage, avec la même effusion :
Les chemins sont affreux, le vent froid, moi triste, plus aujourd'hui qu'hier,
comme je l'étais plus hier qu'avant-hier, comme je le serai plus demain
qu'aujourd'hui. Il est difficile et pénible de vous quitter pour un jour, et
chaque jour est une peine ajoutée aux précédentes […] C'est ainsi qu'à 250
lieues de moi vous contribuez à mon bonheur, sans vous en douter… Adieu,
mille fois bonne, mille fois chère, mille fois aimée ! (Le Breton, s. a. : 20)
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Dans cette lettre à Isabelle de Charrière du mois de juin 1787, consultée
au Fonds Isabelle de Charrière, à la Bibliothèque publique et universitaire de
Neuchâtel (Suisse)
3
, il lui indique son départ pour Londres. Il lui dit son
intention d’aller voir le « banc de Mrs Caliste à Bath », en référence à Caliste,
l’un des romans les plus célèbres de Belle, qui fut publié cette année-. Il
ajoute « aimez-moi malgré mes folies. Je suis un bon Diable au fond.
Excusez-moi auprès de Mr de Charrière. », et il la prie de lui répondre
quelques mots à l’adresse qu’il mentionne :
3
Grâce à la collaboration de Mme Martine Noirjean de Ceuninck, en juin 2018 et l’autorisation
du Fonds ‘Isabelle de Charrière’. Les originaux sont conservés à la Bibliothèque universitaire de
Genève (UNIGE).
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(Ms 1312 fº2 verso)
(Ms 1313 fº87 verso)
(Ms 1313 fº49 verso)
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Plus tard, son père le contraignit à s’employer à la cour et il dut quitter
Colombier pour Brunswick. Durant quelques années, Benjamin Constant
fera des allers et retours à Colombier pour se remettre de ses malheurs, tant
familiaux qu’amoureux. Belle deviendra sa confidente. Elle acceptera de
l’être pour ne pas le perdre et lui, oubliera les liens qui les unissaient pour la
blesser à travers ses confidences au sujet des femmes qu’il rencontrait ou
bien qu’il épousait.
Benjamin évoluait intellectuellement et commençait à avoir son propre
point de vue au sujet de la situation politique de la France et de ses
répercussions en Suisse. Isabelle, âgée, n’avait plus cet enthousiasme et cette
volonté de changer le cours des événements ni de donner son point de vue
sur tous les sujets. Elle appartenait à un siècle qui arrivait à sa fin.
En 1794, elle lui écrivit :
… Personne ne vous aime tant, ne vous entend si bien, […] et si je meurs aussi
longtemps avant vous que cela doit naturellement être, alors vous prendrez
d’autres habitudes et il est inutile de les prendre d’avance. (Kerchove, 1937 :
211)
Leur correspondance dura de 1787 à 1795, et selon Le Breton, Belle fut
« aimée, oui, au début de leur liaison, elle put se croire sincèrement,
profondément aimée ». La conclusion de leurs lettres comportait de longues
phrases remplies des sentiments les plus sincères : « aimez-moi, croyez que
je vous aime tendrement » ; « though I intend nothing, yet I intend to love
you as long as I live. » ; « vous savez combien je vous aime et suis heureux
de vous aimer. » ; « je ne dois plus penser qu’à vivre auprès de vous ».
Mais, en septembre 1794, sous l’effet de l’incursion de Germaine de
Necker, baronne de Staël, leur relation mi-amants et mi-amis se durcit. À
partir de ce moment-, les lettres entre eux furent des reproches, des
jalousies et de sanglants poignards : « Le plus grand [défaut] sera toujours
ne pas être de votre avis. » ; « Adieu, ma laconique, conseillante et
aristocratique amie. Salut et fraternité. » On était loin des adieux des
premières lettres. Mais, de plus, Benjamin lui parlait librement des
sentiments qu’il avait envers d’autres femmes et surtout de Germaine. Le
temps s’écoulait et il passait de plus longs séjours à Coppet (Lausanne-
Suisse) sans pour autant vouloir quitter Colombier définitivement.
Finalement, il se fatigua de toujours devoir se justifier et commença à
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trouver des défauts à Belle. Cela ne fit que refroidir les sentiments qui les
unissaient. De plus, Germaine de Staël était si attirante, si moderne, si
actuelle, si jeune (27 ans), si pleine d’avenir, qu’elle finit par remplir le vide
que petit à petit laissait Isabelle. Et deux ans après, il lui dira au revoir non
sans rappeler les huit ans partagés et combien il l’avait appréciée.
Connaissant l’inconstance de Benjamin, égoïste, égolâtre et ayant été la
confidente de toutes ses relations amoureuses, Mme de Charrière devait
imaginer comment se terminerait leur relation.
Kerchove nous amène à réfléchir au sujet de cette dernière amitié qu’elle
eut avec Benjamin Constant, sur le fait de savoir s’ils furent amants ou
seulement amis :
Personne ne pourra jamais démontrer que Belle et Benjamin n’ont pas été
amants : mais si l’on admet qu’ils le furent, leur intimité loin d’en paraître
plus normale, en devient presque inexplicable. […] si elle avait été sa
maîtresse, elle n’eût pu supporter longtemps le cynisme de ses aveux ni la
variété de ses entreprises. (Kerchove, 1937 : 178)
Constant ne faisant plus partie de sa vie comme auparavant, elle trouva
une autre occupation : celle de se préoccuper des émigrés de la Révolution
française. Elle en accueillera deux : Camille et Pierre Malarmey de
Roussillon. Ce dernier sera le remplaçant de Constant qui suivait les pas de
Germaine et non plus les siens. Comme ces hommes étaient toujours plus
jeunes, elle se croyait obligée de les instruire et de former leur esprit. C’est ce
qu’elle fit avec Pierrot (son surnom, selon Thireau). Mais lui aussi dut la
quitter car il fut expulsé par le Conseil d’État de Neuchâtel et il serait
probablement allé à Trieste. C’est dans une lettre de Benjamin qu’on
apprend qu’Isabelle avait opéré un changement très positif sur le
tempérament de cet émigré. Constant s’y disait me surpris et charmé de
l’effet qu’elle avait causé par cette dernière sur celui-ci. Les lettres
continuèrent jusquà dix jours avant sa mort, le 26 décembre 1805.
Isabelle de Charrière ne s’est jamais soumise aux normes. En tant que
noble, elle quitta son pays et en préféra un autre. Elle lui fut infidèle. Avec
d’Hermenches, elle ne respecta pas qu’il t marié et elle-même, une fois
avoir épousé Charrière, continua sa relation « épistolaire » avec celui-ci,
consciente que ses lettres pouvaient compromettre son mariage. Plus tard,
probablement pour combler sa vie sans descendance, elle se réfugia vers des
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hommes plus jeunes, maintenant avec eux plusieurs aventures. Mais nous ne
pouvons pas affirmer, par manque de preuves irréfutables, que Belle fut
infidèle avec ces hommes uniquement avec des mots, ou bien,
corporellement. Cependant, on peut en déduire sans trop douter que le désir
chez elle était présent et que, vu son tempérament, lorsque les circonstances
s’unissaient aux sentiments qu’elle éprouvait, elle en aurait été victime et ne
se serait certainement pas limitée aux mots.
Mais en vérité, sa plus grande infidélité fut celle qu’elle commit envers
elle-même, en ne s’acceptant pas et en cherchant durant toute sa vie, à
travers les hommes, son propre reflet pour y être fidèle.
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