68 AURORA MARÍA GARCÍA MARTÍNEZ
Estudios Franco-Alemanes 11 (2019), 63-74
Charles-Emmanuel essaya de sauver son mariage, et sachant qu’elle
aimait voyager et aller à Paris, ils s’y rendaient souvent. Lors d’un de ces
voyages qu’elle prolongea lorsqu’elle apprit la mort du baron
d’Hermenches, en 1786-1787, elle fit la connaissance, dans le salon des
Suard, de son neveu, Henri-Benjamin Constant Rebecque (1767-1830). Elle
croira que le destin y était pour quelque chose.
Constant avait 20 ans et malgré qu’elle en eût presque 30 de plus, il ne
dut pas la considérer comme une “femme âgée”, mais tout au contraire, car
les faits prouvent qu’il tomba sous l’emprise de son charme. Ainsi, il
séjournait fréquemment à Colombier sans soulever les soupçons de M. de
Charrière, en raison de la différence d’âge et de l’amitié qui les unissait. Il y
passa même deux mois, en convalescence, et Charles-Emmanuel permettait
leurs longues conversations, en tête-à-tête, même jusqu’à l’aube, avec « une
ardeur inépuisable ». Celles-ci se poursuivaient depuis la chambre de
chacun d’eux à l’aide de billets qu’ils se passaient de l’une à l’autre. Se
souvenant de ces deux mois, il s’écriait : « Il n’y a qu’un Colombier au
monde ! » comme le recueille son Journal intime (1895).
Aussi, il déclara dans son Cahier rouge, que « nous nous convînmes
parfaitement » et ajouta qu’ils se trouvèrent « des rapports plus intimes et
plus essentiels. ». Il avoua :
La personne qui, […] occupait véritablement ma tête et mon cœur, c’était
madame de Charrière. […] je passai des heures, des nuits entières à causer
avec madame de Charrière, et pendant ces conversations, j’oubliai mes
inquiétudes sur mon père, mes dettes, mademoiselle Pourras et le monde
entier. […] elle était la seule personne avec qui je causasse en liberté, parce
qu’elle était la seule qui ne m’ennuyât pas de conseils et de représentations
sur ma conduite. (Constant, 1945 : 40-41)
Lorsqu’il quittait Colombier, Benjamin lui envoyait une lettre à chaque
arrêt sur son passage, avec la même effusion :
Les chemins sont affreux, le vent froid, moi triste, plus aujourd'hui qu'hier,
comme je l'étais plus hier qu'avant-hier, comme je le serai plus demain
qu'aujourd'hui. Il est difficile et pénible de vous quitter pour un jour, et
chaque jour est une peine ajoutée aux précédentes […] C'est ainsi qu'à 250
lieues de moi vous contribuez à mon bonheur, sans vous en douter… Adieu,
mille fois bonne, mille fois chère, mille fois aimée ! (Le Breton, s. a. : 20)