La institución judicial contra la creación poética: el proceso a Les fleurs du mal 255
Estudios Franco-Alemanes 13 (2021), 241-268
La première objection qu’on me fera sera celle-ci: Le livre est triste; le nom
seul dit que l’auteur a voulu dépeindre le mal et ses trompeuses caresses,
pour s’en préserver. Ne s’appelle-t-il pas Les Fleurs du mal? Dès lors, voyez-y
un enseignement au lieu d’y voir une offense.
Une enseignement! Ce mot-là est bientôt dit. Mais ici, il n’est pas la vérité.
Croit-on que certaines fleurs au parfum vertigineux soient bonnes à respirer?
Le poison qu’elles apportent n’éloigne pas d’elles; il monte à la tête, il grise les
nerfs, il donne le trouble, le vertige, et il peut tuer aussi.
Je peins le mal avec ses enivrements, mais aussi avec ses misères et ses hontes,
direz-vous! Soit; mais tous ces nombreux lecteurs pour lesquels vous écrivez,
car vous tirez à plusieurs milliers d’exemplaires et vous vendez à bas prix, ces
lecteurs multiples, de tout rang, de tout âge, de toute condition, prendront-ils
l’antidote dont vous parlez avec tant de complaisance? Même chez vos
lecteurs instruits, chez vos hommes faits, croyez-vous qu’il y ait beaucoup de
froids calculateurs pesant le pour et le contre, mettant le contrepoids à côté du
poids, ayant la tête, l’imagination, les sens parfaitement équilibrés! L’homme
n’en veut pas convenir, il a trop d’orgueil pour cela. Mais la vérité, la voici:
l’homme est toujours plus ou moins infirme, plus ou moins faible, plus ou
moins malade, portant d’autant plus le poids de sa chute originelle, qu’il veut
en douter ou la nier. Si telle est sa nature intime tant qu’elle n’est pas relevée
par de mêmes efforts et une forte discipline, qui ne sait combien il prendra
facilement le goût des frivolités lascives, sans se préoccuper de
l’enseignement que l’auteur veut y placer.
Pour tous ceux qui ne sont pas encore ni appauvris ni blasés, il y a toujours
des impressions malsaines à recueillir dans de semblables tableaux. Quelles
que soient les conséquences du désordre, si édifiés, que soient à cet égard
certains lecteurs, ils rechercheront surtout dans les pages de ce livre: La Femme
nue, essayant des poses devant l’amant fasciné (pièce 20); —La mégère libertine qui
verse trop de flammes et qu’on ne peut, comme le Styx, embrasser neuf fois
(pièce 24, Non satiata); —La Vierge folle, dont la jupe et la gorge aiguë aux bouts
charmants versent Le Léthé (pièce 30); —La Femme trop gaie, dont l’amant
châtie la chair joyeuse, en lui ouvrant des lèvres nouvelles (pièce 39); —Le
Beau Navire, où la femme est décrite avec la gorge triomphante, provocante,
bouclier armé de pointes roses, tandis que les jambes, sous les volants qu'elles
chassent, tourmentent les désirs et les agacent (pièce 48); —La Mendiante
rousse, dont les nœuds mal attachés dévoilent le sein tout nouvelle, et dont les
bras, pour la déshabiller, se font prier, en chassant les doigts lutins (pièce 65);
—Lesbos, où les filles aux yeux doux, de leurs corps amoureuses, caressent les