ISSN: 1579-9794
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
La mise en scène poétique dans les traductions du poème
de Heinrich Heine « Ein Fichtenbaum steht einsam »
La puesta en escena poética en las traducciones del
poema de Heinrich Heine «Ein Fichtenbaum steht einsam»
The Poetic Staging in the Translations of Heinrich Heine's
Poem “Ein Fichtenbaum steht einsam”
HASMIK BAGHDASARIÁN
h.baghdasaryan@ysu.am
Universi d’État d’Erevan
NAIRA MANUKYAN
manukyannaira@gmail.com
Université d'État Brusov
Fecha de recepción: 12/05/2024
Fecha de aceptación: 08/05/2025
Résumé : Le présent article est une étude interdisciplinaire aux confins de la
traductologie, de la sémiotique et de la phénoménologie. Notre objectif est
d’analyser les manifestations sémiques de l’équivalence fonctionnelle et de
l’invariant sémantique du texte source, ainsi que les éventuelles modifications
connotatives lors de la traduction qui mettent en exergue la nature dialectique
du modèle traductologique tridimensionnel basé sur l’unité de l’individuel, du
national et de l’universel. Cette unité dialectique est déterminée par divers
facteurs pragmalinguistiques qui influencent le processus de la
communication esthétique interculturelle dans un nouveau contexte
linguistique, culturel et psychologique.
Le corpus d’analyse est constitué des traductions en français, arménien,
russe et espagnol du poème de Heinrich Heine Ein Fichtenbaum steht
einsam. La méthode repose sur la construction des axes isotopiques par le
biais du repérage des mes de relais. La polyvalence des images, nourrie
par une tonalité à la fois sobre et exquise, est susceptible d’une production
infinie de sens grâce à l’image archétypique de l’Arbre solitaire qui évoque le
motif de solitude fonctionnant comme un invariant pragmasémantique. Les
non-dits du texte source sont « comblés » par les traducteurs, qui créent une
nouvelle mise en scène en fonction du cadre de la réception personnelle ou
nationale. Dans notre étude, nous avons suivi une approche qui part de
l’analyse de l’architecture sémantique du texte original, cherchant à révéler la
présence des images-matrices poétisées parsemées dans le tissu des textes
poétiques source et cibles. Notre étude a permis de conclure qu’une
10 La mise en scène poétique dans les traductions […]
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traduction poétique est une re-création qui se manifeste à travers les chaînes
d’isotopies sémantiques. Elle peut être vue comme une sorte de mise en
scène poétique du texte source dans un nouveau cadre spatio-temporel et
culturel, se révélant comme un processus dynamique qui s’effectue
conformément au modèle traductologique de l’unité dialectique
tridimensionnelle.
Mots clés : Image archétypique, Équivalence fonctionnelle, Isotopie
sémantique, Connotation, Unité dialectique tridimensionnelle
Resumen: El presente artículo es un estudio interdisciplinario a caballo entre
la traductología, la semiótica y la fenomenología. Nuestro objetivo es analizar
las manifestaciones micas de la equivalencia funcional y la invariante
semántica del texto origen, así como las posibles modificaciones connotativas
durante la traducción que destacan el carácter dialéctico del modelo
traductológico tridimensional basado en la unidad de lo individual, lo nacional
y lo universal. Esta unidad dialéctica está determinada por diversos factores
pragmalingüísticos que influyen en el proceso de comunicación estética
intercultural en un nuevo contexto lingüístico, cultural y psicológico.
El corpus de análisis consiste en traducciones al francés, armenio, ruso y
español del poema de Heinrich Heine Ein Fichtenbaum steht einsam. El
método se enfoca en la construcción de ejes isotópicos mediante la
identificación de semas relacionantes. La polivalencia de las imágenes,
alimentada por un tono a la vez sobrio y exquisito, es susceptible de una
infinita producción de significados gracias a la imagen arquetípica del Árbol
solitario, que evoca el motivo de la soledad funcionando como invariante
pragmasemántica. Lo que no se dice en el texto origen es «completado» por
los traductores, quienes crean una nueva puesta en escena en función del
marco de la recepción personal o nacional. En nuestro estudio, hemos
adoptado un enfoque que parte del análisis de la arquitectura semántica del
texto original, intentando revelar la presencia de imágenes matriciales
poetizadas que están dispersas en el tejido de los textos poéticos de origen
y meta. Nuestro estudio permite concluir que la traducción poética es una
recreación que se manifiesta mediante cadenas de isotopías semánticas.
Puede percibirse como una especie de puesta en escena poética del texto
origen en un nuevo marco espaciotemporal y cultural, revelándose como un
proceso dinámico que se efectúa conforme al modelo traductológico de la
unidad dialéctica tridimensional.
Palabras clave: Imagen arquetípica, Equivalencia funcional, Isotopía
semántica, Connotación, Unidad dialéctica tridimensional
Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 11
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Abstract: The present article is an interdisciplinary study at the crossroads of
translation studies, semiotics, and phenomenology. Our objective is to
analyze the semic manifestations of functional equivalence and the semantic
invariant of the source text, as well as the possible connotative modifications
during the translation that highlight the dialectical nature of the three-
dimensional translation model based on the unity of the individual, the
national, and the universal. This dialectical unity is determined by various
pragmalinguistic factors that influence the process of intercultural aesthetic
communication in a new linguistic, cultural, and psychological context.
The corpus of analysis consists of French, Armenian, Russian and Spanish
translations of Heinrich Heine's Ein Fichtenbaum steht einsam poem. The
method focuses on the construction of isotopic axes through the identification
of related semes. The polyvalence of the images, fueled by a tone that is both
sober and exquisite, is susceptible to an infinite production of meanings
thanks to the archetypal image of the Solitary Tree, which evokes the motif of
solitude functioning as a pragmasemantic invariant. What is not said in the
source text is "completed" by the translators, who create a new staging
according to the context of personal or national reception. In our study, we
have adopted an approach that starts with the analysis of the semantic
architecture of the original text, attempting to reveal the presence of poetized
matrix images that are dispersed in the fabric of the original and target poetic
texts. Our study permits us to conclude that poetic translation is a re-creation
that manifests through chains of semantic isotopies. It can be perceived as a
kind of poetic staging of the source text in a new spatio-temporal and cultural
framework, revealing itself as a dynamic process that is carried out according
to the three-dimensional dialectical unity translation model.
Keywords: Archetypal image, Functional equivalence, Semantic isotopy,
Connotation, Three-dimensional dialectical unity
INTRODUCTION
Les critères de modélisation et d’évaluation du processus de la
traduction poétique sont intimement liés aux problèmes de la sémiotique
poétique, qui s’ouvre à une interdisciplinarité à la croisée de l’herméneutique
littéraire et de la traductologie et, de ce fait, permet non seulement de
reconstruire l’architecture sémantique du texte de départ sur la base des
éléments linguistiques récurrents, mais aussi d’étudier la problématique de
l’invariant sémantique qui conditionne une transmission fidèle du message
poétique et ses incontournables modifications dans les textes d’arrivée.
Sur cette voie, la compréhension du texte par le traducteur peut passer
par deux étapes que nous appellerons, avec Michael Riffaterre (1983, pp.
16-17), heuristique et herméneutique. La première étape suppose un éventuel
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repérage des éléments de signifiance à tous les niveaux de production de
sens - prosodique, syntaxique, sémantique ou compositionnel -, susceptibles
de signaler la présence de différents types d’agrammaticalité. La deuxième
étape est axée sur la construction des isotopies et, notamment, des isotopies
sémantiques. Nous suivrons la définition de l’isotopie avancée par
Jean-François Jeandillou (1997, p. 82), considérée comme une récurrence
réglée d’unités sémiques au fil d’un ou plusieurs énoncés assurant une
intelligibilité fondamentale du discours. Ces unités miques fonctionnent
comme sèmes de relais assurant une continuité dynamique dans la réception
esthétique du texte.
Tout en garantissant la cohésion du texte, la présence des isotopies
permet de révéler l’existence des unités de sens, fonctionnant comme
l’invariant mantique. Celui-ci, renvoyant à des images-matrices qui sous-
tendent le tissu poétique, s’apparente souvent aux images archétypiques
poétisées universelles, qui invitent à une lecture phénoménologique inspirée
des idées de Gaston Bachelard (1992). Elles se prêtent à des modifications
connotatives au niveau de l’analyse pragmasémantique qui se manifestent à
travers les isotopies. Comme le note judicieusement Iulia Mihalache (2002),
l’isotopie « ne vise pas à nommer, mais à offrir des indices de lectures,
compris comme sèmes , attributs récurrents , qui aident à la configuration
d’UNE lecture possible, qui n’est quand même pas la seule » (p. 486).
Pour l’étude de la pluralité de lectures/traductions à travers les
manifestations de l’unité dialectique tridimensionnelle de l’universel, du
national et de l’individuel, nous avons arrêté notre choix sur les traductions du
célèbre poème de Heinrich Heine Ein Fichtenbaum steht einsam, qui présente
pour ce genre d’analyse un intérêt indéniable. Le poème interpelle l’analyste
avant tout par la sobriété du style du dernier romantique de la poésie
allemande. À travers les deux quatrains, sans emphase excessive ni
épanchements d’une sentimentalité apparente au niveau stylistique, le Moi
poétique met en scène deux images hautement personnifiées qui, par leur
force évocatrice très riche, invitent à une pluralité de lectures et
d’interprétations traductologiques.
La présente étude se propose une analyse comparative des versions
française, arménienne, russe et espagnole du poème en question. Il est à
noter que, malgré toute une série d’études (Calvié, 2023 ; Bezari, 2018 ;
Kalinowski, 1998 ; Khaziev, 2004 ; Moreno, 2018 ; Rodríguez, 2005 ;
Shcherba, 1957 ; Vallejo, 2012, 2013 ; etc.) consacrées à l’aspect
traductologique de la poésie de Heinrich Heine, le présent article effectue,
pour la première fois, une analyse comparative multilingue à travers les
isotopies sémantiques. La méthode repose sur la construction des axes
isotopiques par le biais du repérage des mes de relais qui se laissent voir
Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 13
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dans la symbolique du tissu poétique et supposent inévitablement le recours
à une lecture herméneutique. L’analyse des versions en différentes langues
sera précédée dune étude sémiotique du plan du contenu du texte original.
Cette étude permettra de repérer les sèmes actualisés et virtualisés et de
prévoir les potentialités de sémantisation au cours de la traduction poétique.
Celle-ci est appréhendée comme une re-création dans un nouveau contexte
socioculturel, tout en mettant en lumière le modèle traductologique de l’unité
tridimensionnelle de l’universel, du national et de l’individuel proposé dans la
monographie de Baghdasarián (2023) en tant que base méthodologique
se présente une analyse minutieuse de l’universel, du national et de
l’individuel comme méthodologie du processus de la traduction. Cette
approche révèle la dialectique de l’interférence de différents phénomènes
linguistiques, ainsi que la nature pluridimensionnelle et multifacette de l’œuvre
poétique.
Nous allons réaliser une lecture du texte poétique qui s’inspire de
l’analyse sémiotique de la forme du contenu du signe poétique, en passant
par une étape heuristique préalable qui permet de déceler les pistes d’une
quête ultérieure, tout en éveillant l’impression référentielle produite par les
images-signes (Rastier, 1985, p. 245). Celle-ci peut être validée par le
repérage des unités miques actualisées, responsables de l’interprétation et
de la traduction, son objectivation tenant à l’existence darchisémèmes
susceptibles de se décomposer en unités sémantiques constitutives, à savoir
en sémèmes constitués de mes nucléaires et de sèmes contextuels
(Greimas, 1972, pp. 44-45).
Cette étude peut se compléter par l’analyse des occurrences de
sémantisation des unités linguistiques grâce à l’élargissement progressif du
contexte de réception. Nous tiendrons compte du fait que la pluralité des
lectures simultanées ou la polyphonie pragmasémantique propre à la
réception des textes poétiques tend à se réduire, voire à s’anéantir, avec
l’élargissement du contexte de réception de l’objet esthétique (Manukyan,
2003, p. 145). Ceci va de pair avec l’apparition de multiples facteurs
linguistiques et extralinguistiques qui régissent les possibilités d’actualisation
des sèmes virtuels au niveau de la forme du contenu du signe poétique. Le
texte, qui fonctionne comme un espace de potentialités de sémantisation
découlant de la signifiance intra- et intertextuelle des éléments linguistiques,
s’ouvre à une pluralité de lectures conformément à l’horizon d’attente de la
culture cible. En continuation de l’approche de L. Venuti (2011), qui considère
l’acte de la traduction littéraire comme une pratique locale, nous le voyons
comme une mise en scène poétique, car la traduction est en fait une
localisation spatio-temporelle du message poétique prenant en compte de
multiples facteurs, linguistiques et extralinguistiques - à savoir, historiques,
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socioculturels, psychologiques - qui terminent les choix du traducteur et,
par conséquent, aboutissent à la réalisation d’une nouvelle mise en scène.
Dans ce nouveau contexte de réception, l’invariant du message poétique et
l’actualisation de ses potentielles variabilités sont fonction d’une dialectique
entre la forme et le contenu du signe linguistique, qui vèle, d’une part, la
nature du concept aspirant à une simplification et, d’autre part, celle de l’image
poétique, qui, de par sa force eidétique, tend à une multiplication infinie, étant
une source d’évocation et de réminiscences pratiquement inépuisables.
De ce point de vue, nous estimons très productives les idées
développées par Lvóvskaya (1997), qui considère le texte comme un lieu
d’interférence des facteurs sémantiques et pragmatiques, l’approche
pragmatique supposant une transmission fidèle de l’intention initiale de
l’auteur, tandis que l’approche mantique privilégie la réalisation de cet
objectif par le biais de la description linguistique des scènes de la alité
extralinguistique. Le même objectif peut être atteint à l’aide de différents outils
linguistiques, ce qui prévoit la possibilité, voire la nécessité, de transformation
des éléments du texte source dans l'objectif de rester fidèle à l’intention
auctoriale.
La dimension sémantique de l’invariant du message poétique peut se
manifester par l’archisémème qui renvoie aux images-matrices
archétypiques. Elles sont universelles par leur nature et rendent possible
l’actualisation des sèmes constitutifs virtuellement présents lors de la
traduction. Celle-ci est perçue comme une mise en scène poétique qui est
nécessairement tributaire du nouveau cadre et porte les traces de la vision
propre à la culture nationale, ainsi que de l’expérience individuelle du
traducteur. Cette approche nous permet de considérer l’invariant
pragmasémantique comme un élément à la fois dynamique et polyvalent
fonctionnant comme une virtualité de lectures potentielles.
Les problèmes liés aux traductions poétiques se reflètent dans le
modèle traductologique sous-tendu par le principe de l’unité cohérente et
fondamentale entre l’individuel, le national et l’universel, qui envisage sous un
nouvel angle la problématique de l’équivalence traductologique. L’universel,
le national et l’individuel sont appréhendés comme des catégories traductives
dynamiques qui, du point de vue de l’acte de la communication bilingue, sont
vues non comme des notions isolées, mais surtout comme interférentes et
complémentaires, leur unité tridimensionnelle caractérisant le processus de
la traduction (Baghdasarián, 2023, p. 9). C’est une approche qui permet
également d’aborder les problèmes de la modélisation pragmasémantique de
la traduction à travers les potentialités de nouvelles lectures lors de la
reproduction du message poétique du texte original.
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1. L’IMAGE ARCHETYPIQUE DE LARBRE SOLITAIRE A TRAVERS LARCHITECTURE
SEMANTIQUE DU POEME DE HEINRICH HEINE « EIN FICHTENBAUM STEHT
EINSAM »
Le thème principal de ce poème de Heinrich Heine peut être perçu
comme une poétisation d’un amour inaccessible exprimé par l’image de
l’Arbre solitaire, qui, grâce à une lecture phénoménologique des motifs de la
solitude, de l’isolement et du rêve, s’enrichit d’une dimension de l’universel et
du cosmique. Gaston Bachelard (1992) nous suggère que
[…] le poète reprend le rêve du plus haut. Il sait que ce qui s’isole,
s’arrondit, prend la figure de l’être qui se concentre sur soi. […]
autour de l’arbre seul, milieu d’un monde, la coupole du ciel va
s’arrondir suivant la règle de la poésie cosmique. (p. 214)
Dans le cas du poème en question, l’image de l’Arbre solitaire renvoie
à l’image eidétique de l’Arbre, riche en connotations bibliques et
mythopoétiques qui se révèlent au cours de l’analyse sémiotique.
La composition même du poème recèle une métaphore de la
séparation de l’objet désiré par le biais d’une sorte de mise en abyme. Les
deux protagonistes qui apparaissent par le procédé de personnification ne
sont en réalité que deux images qui se reflètent, puisque la première image
met en scène celle du sapin qui, en demi-rêve, se voit comme dans un miroir
à travers une deuxième image, celle du palmier. Le rêveur et la rêvée, les
deux partagent en commun les mêmes traits d’inaccessibilité et de solitude,
qui s’expriment par les sémèmes Höh' (« hauteur »), Felsenwand
(« rocher »), ainsi que la répétition du sémème einsam (« seul »), qui inaugure
et clôt la mise en scène poétique. Quant aux autres éléments des deux scènes
respectivement présentées dans les deux strophes, ils sont en relation
d’antonymie, le Nord et le froid s’opposant à l’Orient et à la chaleur brûlante
pour souligner l’inéluctable fatalité de la séparation. Ci-après est présenté le
poème de Heinrich Heine (1827, p. 137) :
Ein Fichtenbaum steht einsam Er träumt von einer Palme,
Im Norden auf kahler Höh'. Die, fern im Morgenland,
Ihn schläfert; mit weißer Decke Einsam und schweigend trauert
Umhüllen ihn Eis und Schnee. Auf brennender Felsenwand.
Les lectures rétroactives du texte source justifient la présence des
sémèmes récurrents exprimant « la solitude » (einsam) et « la hauteur »
(Hӧh', Felsenwand) dans les isotopies sémantiques tissées autour des
sémèmes « le Nord » (Norden) et « l’Orient » (Morgenland) :
Nordenkahler Hӧh'weißer Decke EisSchnee (me
de relais « froid »)
16 La mise en scène poétique dans les traductions […]
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Morgenland brennender (sème de relais « soleil »)
L’image de weißer Decke (« couverture blanche »), au niveau implicite
de la réception, peut renvoyer à l’idée de la blancheur s’associant
métaphoriquement à l’absence de parole, voire à la métaphore du non-dit.
Cette possibilité de lecture est confirmée, au niveau explicite du texte du
deuxième quatrain, par l’introduction de l’unité schweigend (« silencieux ») :
Er träumt von einer Palme, /Die, [] /Einsam und schweigend trauert
Quant à l’impression de solitude et de séparation, au niveau explicite
du texte, elle n’a qu’un seul élément, à savoir l’adjectif fern (« loin »). Elle
s’amplifie de résonances tragiques, dans le contexte de l’appréhension du
texte, suite à une lecture phénoménologique de l’image de l’Arbre. Ce dernier
renvoie dans l’imaginaire archétypique à l’Arbre-Univers, qui réalise une
synthèse de la conception du monde sur un plan tridimensionnel. Celui-ci
comprend les niveaux souterrain, terrestre et céleste - et, par conséquent, des
réalités du monde matériel, mais aussi des réalités spirituelles du monde
invisible. Ce monde prend sens par la construction des isotopies axiologiques
tissées autour des mèmes « vie » et « mort ». Cette présomption isotopique
pourrait être vue à la base de l’architecture sémantique du poème, si nous
considérons que l’image-matrice au niveau de l’analyse sémantique se traduit
par l’archisémème de l’Arbre solitaire.
L’image archétypique de l’Arbre est enrichie par une impression
référentielle d’un état transitoire entre Rêve/Réalité, mais aussi Vie/Mort,
produite par les lectures rétroactives du texte original. Elle s’appuie, au niveau
de l’analyse sémique, sur l’actualisation des mes virtuels « entrave »,
« barrière », qui se lisent dans le texte du poème à la lisière des unités weißer
Decke et Eis, et créent la possibilité d’imaginer, au niveau implicite du texte
source, la présence du sémème Eisdecke une épaisse couche de glace »)
qui, dans le contexte de l’image poétique en question, se perçoit comme une
source d’immobilité et de paralysie.
Cette idée est accentuée par l’unité Ihn schläfert il est bercé »). En
proie aux forces qui le dépassent, entre la réalité et l’irréalité, entre deux
mondes, le Moi poétique (Fichtenbaum) rêve d’une palme qui se désole loin
de lui. L’emploi transitif du verbe schläfern (« endormir ») souligne un état de
passivité, voire de captivité aux visions oniriques, aussi bien que l’impossibilité
d’agir dans la vie réelle.
Cette même impression est surdéterminée dans le deuxième quatrain
du poème, réactivant la forme intérieure du sémème Felsenwand,
l’élément Wand (« mur »), perçu métaphoriquement comme une barrière,
acquiert une autonomie de sémantisation en écho avec le nom Eisdecke et,
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en réactualisant les sèmes virtuels de barrière infranchissable, renvoie à
l’impossibilité d’agir, renforcée par le sème d’inaccessibilité présent dans la
forme du contenu desmèmes Hӧh' et Felsenwand.
Cependant, l’image kahler Hӧh' une froide hauteur ») est susceptible
de s’enrichir de l’isotopie froideurindifférenceméprisorgueil, qui rend
possible la simultanéité d’une double lecture. L’image de la palme se désolant
en silence dans les lumières de l’Orient, au niveau de l’analyse sémiotique,
est construite sur les nettes oppositions Nord/Orient, mais aussi Nuit
/Lumière. Le contexte poétique met en évidence la forme intérieure du
sémème Morgenland en accentuant les sèmes constitutifs « pays »,
« lumière », « lever du soleil ». Quant à l’image brennender Felsenwald, elle
évoque la locution figée brennen von Liebe (« brûler d’amour »), ce qui
explique l’absence d’épithètes à valeurs affectives ou axiologiques et
démontre la neutralité du Moi poétique, distancié par rapport à sa mise en
scène poétique, ainsi que l’absence d’empathie ou de compassion. Nous
enregistrons deux enchaînements des réseaux isotopiques qui suivent :
Fichtenbauminaccessibilitéhauteurméprisindifférence
captivité à son propre orgueil repli sur soi nuit froid
séparation solitude Mort
Palme inaccessibilité hauteur désolation séparation
solitudeMort
Ils font aboutir à la possibilité d’une lecture sur la base du binôme
axiologique de l’image archétypique de l’Arbre qui, dans l’imaginaire biblique,
se donne comme Arbre de Vie et Arbre de la connaissance du bien et du mal
et nous fait voir deux isotopies à sens opposé, à savoir :
1. Arbreinnocence Vie
2. Arbretransgression de l’interdictionséparationMort
La pluralité de lectures ou la polyphonie pragmasémantique du poème
Ein Fichtenbaum steht einsam, qui naît de l’autoréférentialité du signe
poétique et aboutit aux potentialités d’actualisations des sèmes virtuels du
texte source, est témoignée dans les traductions poétiques, qui rendent
manifeste la richesse de production de sens inhérente au texte poétique
évoquant le vécu personnel de l’auteur, mais aussi les faits et événements
d’importance nationale et universelle conformément au modèle
tridimensionnel de l’équivalence fonctionnelle.
18 La mise en scène poétique dans les traductions […]
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2. LE GOUT POUR LEXOTISME ET LEMPATHIE DU SUJET LYRIQUE DANS LA
TRADUCTION EN FRANÇAIS DE GÉRARD DE NERVAL
L’isotopie sémantique solitude inaccessibilité (sème de relais
« séparation ») peut être considérée comme la dominante fonctionnelle du
poème de Heine. Dans les versions française et arménienne, russe et
espagnole, elle apparaît sous une nouvelle lumière grâce à une nouvelle mise
en scène poétique, notamment par le biais de l’emploi dadjectifs et de noms
riches en valeurs connotatives nourries par les spécificités linguistiques et
culturelles, ainsi que par le vécu et la stylistique individuelle des traducteurs.
La traduction française en prose réalisée par Gérard de Nerval (Heine,
1827/1855, p. 100) en présente une illustration incontestable.
Un sapin isolé se dresse sur une montagne aride du
Nord. Il sommeille ; la glace et la neige l’enveloppent
d’un manteau blanc.
Il rêve d’un palmier, qui, -bas, dans l’Orient loin -
tain, se désole solitaire et taciturne sur la pente d’un
rocher brûlant.
Le nom « aridité » se décompose en sèmes « privation », « manque
d’eau », « sécheresse ». Au sens figuré, comme dans l’expression
métaphorique « l’aridité du cœur », il signifie « dépourvu de sensibilité,
d’imagination, froideur, indifférence » et, par conséquent, dans le contexte de
la traduction en question, peut se développer en isotopie figurative comme
suit :
Nordinsensibilitéindifférencesécheresseabsence de vie
En corrélation avec l’adjectif « isolé », dans la version de Gérard de
Nerval, elle se complète par des éléments constitutifs tels que « solitude
imposée », « silence ». Ces connotations sont justifiées grâce à la
réactualisation du sème de relais « impossibilité de communication », qui se
trouve en parfaite équivalence sémantique avec les images de l’original qui
suivent :
[] mit weißer Decke/ Umhüllen ihn Eis und Schnee.
En revanche, l’image du palmier qui apparaît sur la pente brûlante se
retrouve enrichie, par rapport à l’original, par la valeur connotative
d’insécurité. Il n’est pas sans intérêt de noter une similitude de sonorité, au
niveau de la forme de l’expression, des épithètes de clôture des deux scènes
poétiques, à savoir, celles du sapin et du palmier, construites comme une
sorte de mise en abyme. On peut constater que les unités « blanc » et
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« brûlante » résonnent en écho également au niveau de la forme du contenu
du signe poétique, évoquant la blancheur comme un effet produit par
l’intensité d’une lumière vive et brûlante. N’est-ce pas une allusion poétique à
un sentiment réciproque profond, intense qui est resté inavoué ?
La substitution du nom Felsenwand (« mur-rocher ») par la métaphore
pente brûlante produit un écart connotatif considérable, puisque le texte
source est construit sur un effet de réversibilité de mise en scène qui
développe deux scènes en miroir reflétant deux réalités quasi identiques, qui
renvoient à l’archisémème de l’Arbre solitaire et se caractérisent par l’isotopie
suivante :
Solitudeinaccessibilité (sème de relais « séparation »)
Elle se construit grâce aux sèmes de « hauteur » et de « silence »,
relayés par le sème contextuel « séparation », ainsi que les sèmes virtuels
« d’incapacité d’accès » et « d’incapacité de parole ». Dans ce contexte, nous
constatons la polyphonie sémantique, à savoir hauteurfierté et hauteur
barrre, mais aussi hauteursacrifice, la hauteur étant l’attribut principal des
lieux réservés aux autels, lieux de sacrifices.
L’impression férentielle du texte source, qui est celle de l’amertume
et de l’ironie née des sacrifices futiles et insensés, voire d’une véritable
tragédie vécue par un Moi poétique fatalement réduit au silence, se
transforme, dans la traduction de Gérard de Nerval, en un sentiment
nostalgique de solitude et d’inaccessibilité, teinté de compassion, voire
d’empathie pour un être aussi émouvant que fragile, exprimée par l’image
métaphorique du palmier. Cet écart connotatif n’est pas sans un lien direct
avec l’intérêt constant porté par le poète à l’exotisme, qu’on voit notamment
dans son Voyage en Orient, dont les premiers extraits apparaissent à partir
de 1840, à une époque qui coïncide avec les dates de parution de ses
traductions du Livre des Chants de Heinrich Heine.
Il est à noter qu’une possible polyphonie sémantique de réception,
provenant de la polysémie du verbe « rêver », dans ses acceptions de « faire
un rêve pendant la nuit », mais aussi de « songer », de « méditer », est
capable de se disloquer en version française en « rêver » et « sommeiller »,
déclenchant la possibilité d’une lecture actualisant leme de « sommeille »
dans le contexte de l’opposition Réalité/Irréalité exprimée dans l’original par
le verbe schläfern, qui suppose un état de rêve éveillé dans le vers inaugurant
le deuxième quatrain :
Er träumt von einer Palme
En revanche, au niveau textuel, l’isotopie séparationéloignement
20 La mise en scène poétique dans les traductions […]
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manque, produite par l’image aussi laconique qu’évocatrice fern im
Morgenland loin dans le pays de Lumière et de Soleil »), fait ressentir en
même temps une nostalgie lancinante pour le pays des ancêtres du sujet
lyrique. La dimension du national dans le texte cible se lit à travers l’intérêt
vers l’Orient et l’exotisme dans la littérature française du XIX siècle. Elle se
traduit notamment par l’empathie pour le palmier sur le rocher brûlant grâce à
l’actualisation dume virtuel « sacrifice », le rocher étant le lieu de supplice
dans l’imaginaire mythologique.
3. LA SOLITUDE DU BEAU ET DU REVE DANS LA TRADUCTION EN ARMENIEN DE
VAHAN TÉRIAN
Cette double connotation, qui renvoie en même temps à une histoire
sentimentale douloureuse et tragique, mais aussi à une histoire vécue au
niveau de l’inconscient présent dans la mémoire collective de la nation, se lit
également dans la traduction en arménien de Vahan Térian (1973, p. 289),
poète symboliste du début du XX siècle, connu pour la finesse exquise et la
musicalité des images poétiques inspirées par le symbolisme français, mais
aussi pour une tristesse infinie et lumineuse qui a marqué son premier recueil
de poèmes « Les rêves au crépuscule ».
L’invariant pragmasémantique qui se tisse dans le texte de cette
traduction autour du sémème « solitude », explicitement présent grâce à
l’adverbe միայնակ (« seul »), et constitué des sèmes « séparation » et
« inaccessibilité », se disloque, dans la version du poète arménien, en deux
isotopies se trouvant en relation de contrariété, à savoir :
Sapin nord froidmanteau de neige tendre et étincelante
Palmierpays éloignépays du soleilsoleil brûlant
La redondance des sèmes « soleil » et « rêve » crée la connotation
d’une nostalgie rêveuse, si chère au poète arménien qui, souvent, se trouvait,
par la force des choses, loin de sa patrie Saint-Pétersbourg, à Orenbourg).
Quant à l’idée de l’inaccessibilité, elle est rendue par les images suivantes :
Մի եղևնի է կանգնած միայնակ/Սառը հյուսիսում, բարձունքի վրա:
(Un sapin se dresse seul/dans le Nord froid, sur une hauteur.)
Նիրհում է: Քնքուշ, ցոլուն ու ճերմակ/Ձյունից է հյուսած հագուստը
նրա:
(Il sommeille. D’une neige douce, étincelante et blanche est tissé son
habit.)
Ու երազին մի արմավ է տեսնում,/ Որ այն հեռավոր երկրում արևկա
(Il rêve d’un palmier/qui dans ce pays lointain inondé de soleil)
Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 21
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
Թախծում է լռին, մենակ երազում/Արևից այրված սեպ ժայռի վրա։
(S’afflige taciturne et rêve tout seul/Sur son rocher éperonné brûlé de
soleil.)
L’adjectif non-classifiant սեպ, renvoyant au groupe nominal սեպ ժայռ
(« rocher éperonné »), attribue à l’image un dynamisme accentuant son
caractère non-fiet en perpétuelle évolution vers le haut. Le sujet lyrique du
traducteur, en s’identifiant à l’image de l’Arbre solitaire qui rêve, représente
également celui ou celle dont on rêve à travers une nostalgie douloureuse,
malgré la beauté du paysage nordique, à la fois beau et envoûtant, évoquant
l’image archétypique de l’Arbre, incarnant dans le poème la mystérieuse
beauté du paysage hivernal.
Dans la traduction de Vahan Térian, l’image du sapin est mise en
exergue au niveau syntaxique, à l’instar de l’original ainsi que de sa version
française, ce qui, pour cette dernière, peut s’expliquer par les lois syntaxiques
propres à la langue française. Dans le cas de l’arménien, la position initiale
dans le vers inaugural de Մի եղևնի un sapin ») relève du choix de Térian,
qui accentue de la sorte sa portée métaphorique. La personnification de l’objet
inanimé, selon l’analyse de L. Shcherba (1957, p. 99), crée une situation
le sapin fonctionne comme le sujet grammatical et psychologique à la fois et,
par conséquent, se perçoit comme le personnage central du poème. Cette
particularité stylistique ne s’est pas traduite dans d’autres versions examinées
dans le présent article. Quant à une autre traduction arménienne, celle de
Bznouni, il est à noter la volonté de transmettre l’idée de solitude et de silence
par l’image սառցի, ձյունի/ Ճերմակ ծածկույթն է պատել նրան la
couverture de neige froide et blanche l’enveloppe »), ce qui est en parfait écho
avec l’original. Vahan Térian, à l’opposé de la sobriété du style de Heinrich
Heine, frugal en épithètes, ne se prive pas du plaisir de décrire un paysage
hivernal rappelant les images d’un conte de fées à l’aide de toute une série
d’épithètes pour faire voir la beauté d’une neige erique, telles que
« tendre », « brillant-pétillant », « blanc ». Le texte source, par contre, met en
scène un sapin couvert de glace et de neige, rappelant un linceul et soulignant
de cette manière l’idée de solitude et de séparation, tandis qu’à l’arrière-plan
de la scène poétique s’esquisse l’image onirique de la palme, objet d’un désir
fatalement inatteignable. À cela s’ajoute le lyrisme tendre et profondément
émouvant propre à la poétique de Vahan Térian, auquel se superpose l’image
nostalgique d’une contrée de soleil et celle d’un rocher en éperon (հեռավոր
երկրում արևկա, սեպ ժայռ), traduisant l’idée d’inaccessibilité et de
séparation, évoquant l’expression arménienne սեպ խրել, qui signifie
« séparer délibérément des choses, mais surtout des êtres qui s’aiment ».
L’isotopie sémantique dans la traduction de Vahan Térian se construit
grâce au sémème de « solitude », qui se reflète comme dans un double miroir
22 La mise en scène poétique dans les traductions […]
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
dans les deux quatrains figurant à l’instar de micros-scènes qui se disloquent
en unités constitutives et renvoient à la même impression d’une irréparable
solitude au début et à la fin de la chaîne isotopique qui suit, accentuant les
dimensions de l’individuel et du national :
Solitude nostalgie doux sommeil rêve rêverie désir
d’évasion beauté erique affliction profonde silence
Solitude
Il est à noter également que l’absence du genre grammatical des noms
en arménien produit son impact sur les possibilités de mantisations et, par
conséquent, il existe diverses interprétations, qui construisent deux
principales corrélations sémantiques autour des sémèmes sapinNord et
palmierOrient.
4. SOLITUDE COMME QUETE DUNE COMMUNION SPIRITUELLE DANS LA
TRADUCTION EN RUSSE DE MIKHAÏL LERMONTOV
Quant à la traduction russe réalisée par M. Lermontov (1989, p. 69), la
mise en scène poétique est inspirée de l’opposition des substantifs сосна
(« pin ») et пальма (« palme »). Les deux étant du genre féminin, le thème de
séparation de l’original, perçu comme un drame provoqué par une rupture
sentimentale, est vécu, dans le texte cible, sur une dimension philosophique
et universelle. Lermontov propose une nouvelle lecture du principal motif
poétique par le biais d’une construction isotopique figurative. Celle-ci crée une
ambiance qui fascine par la musicalité tendre et envoûtante des vers,
déployés au gré du rythme harmonieux qui, en alternant des vers alexandrins
et des octosyllabes, renvoie à l’image onirique du pin solitaire bercé par les
rêves.
На севере диком стоит одиноко
На голой вершине сосна
И дремлет, качаясь, и снегом сыпучим
Одета, как ризой, она.
И снится ей все, что в пустыне далекой,
В том крае, где солнца восход,
Одна и грустна, на утëсе горючем
Прекрасная пальма растет.
Il est incontestable que Lermontov, conscient de la différence de genres
des noms Fichtenbaum (n. m.) et Palme (n. fém.) dans le poème de Heinrich
Heine, dans le désir de rester fidèle au texte source, à l’instar d’autres poètes-
traducteurs russes tels que Tutchève, Fet, Maïkov et Pavlov, aurait pu opter
pour l’opposition des images des arbres solitaires en recourant aux
Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 23
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
substantifs du genre masculin кедр (« cèdre »), дуб (« chêne »). Il est évident
que la mise en exergue de la valeur énantiosémique propre aux unités
sémantiques perçues sur la dimension axiologique a permis au grand poète
romantique d’accentuer l’idée d’une solitude absolue, au niveau ontologique
du terme, en dehors du contingent et du fugitif.
De ce point de vue, on peut repérer deux séries d’isotopies sémantiques
qui apparaissent au niveau explicite et celles qui sont susceptibles d’être
décelées au niveau implicite du texte. La première renvoie à l’expérience
sentimentale du sujet lyrique, au thème de l’amour et de la séparation, la
deuxième se construit comme une isotopie sémantique à valeur axiologique
évoquant l’idée de la solitude sur la dimension spirituelle. Elle est ressentie
comme une question à valeur existentielle se trouvant au cœur-même de la
condition humaine. Ces deux interprétations ne coïncident pas et de ce fait
suscitent des commentaires divergents. Une analyse comparée de quelques
versions russes a permis à Khaziev (2004) de constater que la traduction de
Tutchève met en scène les sentiments d’un jeune chevalier romantique qui
rêve d’une jeune fille d’Orient (p. 109), ce qui fait valoir le côté explicite du
message poétique, transmis par les images du rêve renvoyant à la substance
du contenu du signe poétique rendue par les images du paysage exotique et
une belle jeune fille qui s’afflige. Cette interprétation, qui est fidèle à la lettre de
l’original, dans la traduction de Lermontov cède sa place à une lecture qui
redécouvre des images sous-jacentes d’une solitude absolue du sujet lyrique
vécue comme un drame inéluctable. La chaîne isotopique se construit autour
du sémème de « solitude », « isolement » sert deme de relais :
Solitude séparation douceur du sommeil rêverie
inaccessibilitésolitude profonde et irrémédiable
Lermontov, dans son interprétation poétique, accentue l’idée de la
solitude existentielle de l’être humain par l’image на голой вершине (« sur la
hauteur nue »). Rappelons que l’adjectif « nu » peut évoquer l’idée du
dénuement, mais aussi du désert, de l’absence de signe de vie et, dans le
contexte du poème en question, l’absence de parole. C’est le désert spirituel
qui peut être perçu comme une transformation en une quête de spiritualité. Ce
dernier élément est suscité par l’image du pin grâce à l’actualisation dans le
texte cible des mes virtuels « spiritualité » et « communion » du sémème
pиза, qui est défini comme chasuble, sorte de manteau que le prêtre porte
pendant la messe :
[․․․] и снегом сыпучим / Одета, как ризой, она
[…] habillé de neige comme d’une chasuble qui s’effile en flocons.
Le motif de la solitude est amplifié par une aspiration à la spiritualité et
à la beauté, mais aussi par l’idée du passager, de la perte et de l’instabilité
24 La mise en scène poétique dans les traductions […]
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
propre à la condition humaine. La dimension universelle de l’image снегом
сыпучим la neige qui s’effile en flocons ») est évoquée par l’actualisation
du sème « fugacité de la alité éphémère » qui était présent au niveau
implicite du texte source.
5. DRAMATISME ET FATALITÉ DE LA SOLITUDE DANS LA TRADUCTION EN ESPAGNOL
DE PÉREZ BONALDE
L’analyse des traductions en espagnol présente un intérêt indéniable.
Notamment celle réalisée par Juan Antonio Pérez Bonalde, poète et traducteur
vénézuélien, représentant du romantisme lyrique, qui a proposé une des
meilleures versions en espagnol du poème en question, comme l’attestent
certains critiques littéraires (Vallejo, 2012, p. 2). La traduction a été publiée en
1877 et rééditée en 1885 à New York. Dans la postface, en abordant les
problèmes de la traduction poétique, Pérez Bonalde (Heine, 1827/1885b, p. VI)
exprime sa vision de la tâche du traducteur. Il estime que la traduction est
tenue non seulement de rester fidèle aux idées et aux sentiments les plus
subtils du poète, à ses profondes et intimes intentions, mais aussi à la forme
de l’expression poétique, en respectant le rythme et l’art de la versification du
poète allemand et, surtout, la fraîcheur et la spontanéité de son inspiration.
Se alza del Norte en la región helada
Un pino solitario;
Y dormita, del hielo y de la nieve
Bajo el yerto sudario…
Sueña con una lánguida palmera
Que en el lejano Oriente,
Aislada y melancólica, suspira
Sobre una roca ardiente.
Cette version espagnole de Pérez Bonalde (Heine, 1827/1885b, p. 187)
se distingue par l’harmonie rythmique et une musicalité subtile au niveau du
plan de l’expression, mais, surtout, par l’emploi dépithètes qui, soit
accentuent, soit nuancent le contenu du message poétique de l’original par
de nouvelles allusions. À la différence des versions russe et arménienne, la
personnification des deux protagonistes de la mise en scène est amplifiée par
l’opposition des genres grammaticaux des substantifs un pino et una palmera.
Cependant, si dans le texte source Fichtenbaum est à l’avant-scène, occupant
syntaxiquement une position de premier plan et inaugurant le développement
d’un spectacle semi-onirique qui nous fait ressentir l’histoire spirituelle du sujet
lyrique, son mythe personnel profondément vécu et sacré, dans la version
espagnole un pino solitario cède sa position du premier plan, en apparaissant
au deuxième vers. Son rôle est de servir à l’accomplissement de l’image du
paysage nordique se hisse un pino solitario, ce qui apporte un changement
d’accents considérable, puisque désormais, c’est l’image du Nord qui régit la
production du sens et, par conséquent, la réception du message poétique, car
Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 25
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
un pino n’est plus ressenti au statut du sujet d’action comme il en est dans
l’original. Si dans le texte source l’accent est mis sur l’idée de la solitude, le
texte cible met en exergue l’idée d’une contrée du Nord et du froid glacial,
puisque l’image auf kahler Hӧh du texte allemand est rendue par l’unité « en
la región helada », en déplaçant le sème de la hauteur qui appartient à
l’image-même d’un pino, comme une caractéristique inaliénable. Ce
déplacement est un procédé compensatoire : une concession au niveau
syntaxique est partiellement compensée au niveau du plan du contenu par les
sèmes contextuels grâce à l’emploi du verbe alzarse. L’image d’un pino dans
la version espagnole inclut les mes contextuels non seulement de
« solitude » et de « rêve », mais aussi ceux de « hauteur » et de « mort », en
tant quéléments de la forme du contenu des sémèmes « alzarse » et
« sudario », respectivement.
Nous jugeons judicieux de nous arrêter sur le terme sudario. Absent
dans l’original au niveau explicite du texte, il est le résultat d’une interprétation
du sens implicite de l’original en y apportant les connotations de la mort et du
désespoir. Dans la tradition lexicographique espagnole, le substantif sudario
est défini comme « Lienzo que se pone sobre el rostro de los difuntos o en
que se envuelve el cadáver » (Real Academia Española, s. f., definición 1),
quant à santo sudario le même dictionnaire nous propose la définition
suivante : « Sábana o lienzo con que José de Arimatea cubrió el cuerpo de
Cristo cuando lo bajó de la cruz ». Il est incontestable que l’actualisation du
sème de la mort au niveau explicite du texte de la traduction pourrait être
expliquée par le contexte dramatique de la vie personnelle du traducteur, en
particulier, par son exil suite aux persécutions pour des motifs politiques, ainsi
que la mort prématurée des personnes proches qui lui étaient très chères,
aboutissant à la fréquence du thème de la mort dans son œuvre. La
perception du texte source est influencée par le vécu personnel tragique du
traducteur, qui se lit surtout dans l’image « Bajo el yerto sudario » grâce à
l’actualisation du sème constitutif « mort » du noyau mique du mème
sudario (« linceul »), ce qui confère au drame personnel par l’intensité de la
douleur profonde une dimension nationale et universelle.
Le deuxième quatrain de la traduction est également riche en
connotations au niveau implicite du texte. La palmera est présentée par
l’épithète lánguida, qui peut signifier « épuisée, déçue, intimidée ». Toutes ces
possibles connotations étant absentes dans l’original créent une nouvelle
mise en scène d’un profond dramatisme. Il est intéressant de noter que dans
la traduction de Pérez Bonalde publiée en 1914 dans la revue Apolo. Revista
de Arte y Sociología, dans l’avant-dernier vers du poème le verbe suspira est
remplacé par le terme se inclina (Giralt, 1914, p. 26). Dans la version finale,
nous lisons aislada y melancólica se inclina/sobre una roca ardiente. Dans
26 La mise en scène poétique dans les traductions […]
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
cette version, la tristesse de la palme est rendue non par le biais de la
description stéréotypée à l’aide des verbes llorar ou suspirar, comme il en est
dans les versions de Jaime Clark (1827/1873, pp. 17-18) et de Teodoro
Llorente (Heine, 1827/1885a, p. 110), mais à l’aide d’une touche
impressionniste - aislada y melancólica se inclina - ce qui ajoute à la
mélancolie de la douceur et de la résignation.
Les chaînes des isotopies mantiques dans la traduction de Pérez
Bonalde se présentant sur la base de l’opposition réalité/irréalité mettent en
valeur le crédo poétique du dernier des romantiques allemands, qui fut en
déchirure constante entre deux mondes, réel et irréel :
Nord froid solitude souffle de la mort (sème de relais
« réalité »)
Rêverieune palme affligée dans un pays lointain (sème de relais
« irréalité »)
Il est évident que l’image eidétique de l’Arbre solitaire évoquée par ce
poème est susceptible d’une production de sens infini et riche grâce à la
polyvalence de l’image archétypique de l’Arbre solitaire, qui met en exergue
le motif de solitude fonctionnant comme l’invariant pragmasémantique. Quant
à la polyvalence des images poétiques du texte original, elle est nourrie par
une tonalité sobre et une certaine frugalité en matière d’épithètes. Le motif
principal peut se définir comme l’état d’une captivité irrémédiable qui met en
scène l’image-matrice de l’Arbre solitaire comme une expression d’une
séparation, vécue par le sujet lyrique comme une tragédie mêlée d’un
sentiment d’amertume teinté d’auto-ironie, les connotations de la
séparation douloureuse sont enrichies par une sorte de distanciement du sujet
lyrique dans la mise en scène poétique provoquant des non-dits.
Comme nous le constatons, ces non-dits du texte source sont
largement « comblés » par les traducteurs, qui créent une nouvelle mise en
scène en fonction du cadre de la réception personnelle ou nationale. Si la
traduction faite par Gérard de Nerval est une mise en scène de laparation
qui actualise les sèmes de « danger » et de « compassion » pour un être
aussi émouvant que fragile, révélant la nature d’un sujet lyrique compatissant
et empathique, la version arménienne, à travers une totale identification avec
les deux protagonistes de l’événement poétique, met en scène laparation
comme un sentiment de nostalgie vécue par un Moi poétique rêveur, fasciné
par la beauté hypnotisante du paysage hivernal, tandis que les versions
espagnoles, et notamment celle de Pérez Bonalde, accentuent le dramatisme
et la quête de la spiritualité, celle-ci étant surtout mise en évidence dans la
version russe de Mikhaïl Lermontov, le dramatisme de la solitude
Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 27
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
universelle cherche à se dépasser grâce à la Beauté et à la Communion
spirituelle.
Le tableau récapitulatif qui suit montre l’impact des dimensions de
l’individuel, du national et de l’universel lors de la transmission de l’intention
auctoriale du texte poétique.
AXES DE LECTURE :
INDIVIDUEL
NATIONAL
UNIVERSEL
ISOTOPIES
SÉMANTIQUES
MANIFESTATIONS
SÉMIQUES AUX
NIVEAUX EXPLICITE ET
IMPLICITE
TEXTE
ORIGINALEin
Fichtenbaum steht
einsam » de
HEINRICH HEINE
Le motif de la solitude se
présente par l’isotopie
sémantique suivante :
Solitude silence
séparation rêve
inaccessibilité
Dimension de
l’individuel : contexte
biographique, un
amour non-avoué
Solitude silence
«Ein Fichtenbaum steht
einsam»
«Einsam und schweigend
trauert»
Separation rêve
«Er träumt von einer
Palme,
Die, fern im Morgenland»
Dimension du
national
Mal du pays
inaccessibilité
«auf kahler Hӧh'»
kahler, actualisation des
sèmes virtuels
« indifférence », « mépris »
Hӧh', actualisation du
sème virtuel « sacrifice »,
un autel étant construit sur
un lieu élevé pour les
cérémonies de sacrifices
Dimension de
Solitude cosmicité
Arbre solitaire image
archétypique, fonctionne
28 La mise en scène poétique dans les traductions […]
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
l’universel
atemporalité
comme archisémème qui
réalise au niveau
mythologique atemporel
une synthèse entre les
trois dimensions :
souterraine, terrestre et
céleste, en l’occurrence,
entre la Vie et la Mort,
entre une réalité spirituelle
et une réalité concrète et
sensible.
TRADUCTION EN
FRANÇAIS DE
GÉRARD DE
NERVAL
Solitude sécheresse
silence absence de vie
rêverie fragilité
exotisme
Dimension de
l’universel
Solitude sécheresse
« Un sapin isolé se dresse
sur une montagne aride du
Nord. »
« une montagne aride du
Nord », actualisation du
sème virtuel « aridité »,
absence de signe de vie
spirituelle
Silence rêverie
« Il sommeille ; la glace et
la neige l’enveloppent d’un
manteau blanc. »
1. blancheur- absence de
couleurs, en cohésion avec
« la glace », actualisation
du sème virtuel « manque
de parole »,
2. blancheur - effet produit
d’une lumière vive et
brûlante, en écho avec
l’image du « rocher
brûlant », actualisation du
sème virtuel « amour
profond et réciproque »
Dimension du
national : l’intérêt vers
Fragilité insécurité
« (…) dans l’Orient lointain,
se désole solitaire et
Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 29
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
l’Orient et l’exotisme
dans la littérature
nationale
captivité
taciturne sur la pente d’un
rocher brûlant. »
actualisation du sème
virtuel « captivité », le
rocher dans les textes
mythologiques figurant
comme lieu ou instrument
de supplice
TRADUCTION EN
ARMÉNIEN DE
VAHAN TÉRIAN
Solitude la beauté du
paysage nordique
séparation douceur du
rêve pays de soleil
nostalgie lancinante
Dimension de
l’universel
La beauté du paysage
nordique douceur du rêve
Նիրհում է: Քնքուշ, ցոլուն
ու ճերմակ/ Ձյունից է
հյուսած հագուստը նրա:
(Il sommeille. D’une neige
douce, étincelante et
blanche est tissé son
habit.)
Fusion des
dimensions du
national et de
l’individuel : poète
rêveur s’identifie à
l’Arbre solitaire,
nostalgique de sa
patrie
Solitude séparation
nostalgie pour le pays du
soleil
Թախծում է լռին, մենակ
երազում/ Արևից այրված
սեպ ժայռի վրա:
(S’afflige taciturne et rêve
tout seul/Sur son rocher
éperonné brûlé de soleil.)
Solitude séparation
Սեպ խրելenfoncer un
coin, faire éclater »),
actualisation du sème
virtuel « séparation »
Սեպ ժայռերrochers
éperonnés qui s’élèvent
vers le ciel et le soleil »),
actualisation du sème
virtuel « patrie »
30 La mise en scène poétique dans les traductions […]
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
TRADUCTION EN
RUSSE DE MIKHAÏL
LERMONTOV
Solitude tristesse
beauté onirique du paysage
hivernal quête d’une
communion spirituelle
Fusion des
dimensions de
l’universel et de
l’individuel :
Solitude de l’homme
est ressentie comme
une problématique
existentielle qui se
traduit par une quête
de la spiritualité et de
la communion
Solitude tristesse
Одна и грустна, на утëсе
горючем (Seule et triste
sur un rocher brûlant)
Beauté onirique du paysage
hivernal quête d'une
communion spirituelle
(…) и снегом сыпучим/
Одета, как ризой, она.
(…habillé de neige comme
d’une chasuble qui s’effile
en flocons.)
Риза (« chasuble, sorte de
manteau que le prêtre
porte pendant la messe »),
actualisation du sème
virtuel « spiritualité »
TRADUCTION EN
ESPAGNOL DE
JUAN ANTONIO
PÉREZ BONALDE
Solitude froid du Nord
souffle de mort désolation
rêve douleur brûlante
résignation
Fusion des
dimensions du
national et de
l’individuel : lecture
influencée par le vécu
personnel tragique du
traducteur
Solitude souffle de mort
«Bajo el yerto sudario»
Sudariolinceul »),
actualisation du sème
constitutif « mort »
Solitude tristesse
profonde
«Aislada y melancólica,
suspira», actualisation du
sème virtuel « tristesse
profonde »
Solitude douleur brûlante
una roca ardiente
Tableau 1. Le fonctionnement du modèle tridimensionnel lors de la traduction
du texte poétique de H. Heine «Ein Fichtenbaum steht einsam»
Source. Élaboré par les auteurs
Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 31
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
CONCLUSION
La construction des isotopies sémantiques relayées par des sèmes aux
niveaux explicite et implicite du plan du contenu des images poétiques
représente un intérêt indéniable en tant qu’une base thodologique
objective garantissant l’évaluation de l’équivalence fonctionnelle des textes
cibles au texte source.
Une analyse comparée plurilingue des traductions poétiques
réalisées en français, arménien, russe et espagnol permet de constater
l’interférence de l’individuel, du national et de l’universel conformément au
modèle traductologique tridimensionnel proposé par H. Baghdasarián (2023).
Cette approche ouvre une nouvelle perspective d’études en matière de la
réception interculturelle des textes poétiques, notamment en mettant en relief
les particularités du caractère dynamique de l’équivalence fonctionnelle.
L’universel se traduit par l’image-matrice du texte poétique qui se
définit en l’occurrence comme l’image archétypique de l’Arbre solitaire
susceptible de subir des écarts connotatifs grâce à l’actualisation des sèmes
contextuels aboutissant dans les textes cibles à la polyphonie
pragmasémantique. Celle-ci participe à la réception de la dimension de
l’universel du texte source dans de nouveaux contextes tout en actualisant au
niveau sémique les potentialités de l’appréhension du national et de
l’individuel.
La fidélité au texte source assurée uniquement au niveau sémantique
ne suppose pas nécessairement une équivalence fonctionnelle et de ce fait
ne peut pas produire les mêmes effets esthétiques, communicatifs et
pragmatiques. Le changement du contexte de réception entraîne
inéluctablement l’actualisation de nouveaux motifs implicitement présents
dans l’original exprimés à travers l’isotopie sémantique de la Solitude. C’est
le cas de la version de Lermontov qui révèle les potentialités de mantisation
au niveau de l’universel, à savoir la quête d’une communication spirituelle en
dehors des contraintes temporelles.
Le contexte historico-culturel de la langue d’arrivée, les traditions et
les stéréotypes culturels et interculturels peuvent impacter la réception du
texte source, entraînant une resémantisation de la dominante fonctionnelle.
C’est le cas des versions française et arménienne dans lesquelles
s’accentuent les motifs propres aux dimensions nationale et individuelle,
exprimées par les sèmes évoquant la séparation et le mal du pays.
L’individualité artistique, les particularités du style et de l’imaginaire
poétique du traducteur, ainsi que certains faits de la vie personnelle peuvent
considérablement influencer le processus de la traduction. C’est le cas des
32 La mise en scène poétique dans les traductions […]
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
connotations tragiques accentuant la fusion des dimensions de l’individuel et
du national dans la version de Pérez Bonalde.
Nous constatons que dans tous les textes cibles, la reproduction de
tel ou tel autre élément du contenu sémantique du texte original par
l’actualisation des sèmes virtuels reste tributaire de la nécessité de conserver
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