Hasmik Baghdasarián et Naira Manukyan 21
Hikma 24 (2) (2025), 1 - 34
Թախծում է լռին, մենակ երազում/Արևից այրված սեպ ժայռի վրա։
(S’afflige taciturne et rêve tout seul/Sur son rocher éperonné brûlé de
soleil.)
L’adjectif non-classifiant սեպ, renvoyant au groupe nominal սեպ ժայռ
(« rocher éperonné »), attribue à l’image un dynamisme accentuant son
caractère non-figé et en perpétuelle évolution vers le haut. Le sujet lyrique du
traducteur, en s’identifiant à l’image de l’Arbre solitaire qui rêve, représente
également celui ou celle dont on rêve à travers une nostalgie douloureuse,
malgré la beauté du paysage nordique, à la fois beau et envoûtant, évoquant
l’image archétypique de l’Arbre, incarnant dans le poème la mystérieuse
beauté du paysage hivernal.
Dans la traduction de Vahan Térian, l’image du sapin est mise en
exergue au niveau syntaxique, à l’instar de l’original ainsi que de sa version
française, ce qui, pour cette dernière, peut s’expliquer par les lois syntaxiques
propres à la langue française. Dans le cas de l’arménien, la position initiale
dans le vers inaugural de Մի եղևնի (« un sapin ») relève du choix de Térian,
qui accentue de la sorte sa portée métaphorique. La personnification de l’objet
inanimé, selon l’analyse de L. Shcherba (1957, p. 99), crée une situation où
le sapin fonctionne comme le sujet grammatical et psychologique à la fois et,
par conséquent, se perçoit comme le personnage central du poème. Cette
particularité stylistique ne s’est pas traduite dans d’autres versions examinées
dans le présent article. Quant à une autre traduction arménienne, celle de
Bznouni, il est à noter la volonté de transmettre l’idée de solitude et de silence
par l’image սառցի, ձյունի/ Ճերմակ ծածկույթն է պատել նրան (« la
couverture de neige froide et blanche l’enveloppe »), ce qui est en parfait écho
avec l’original. Vahan Térian, à l’opposé de la sobriété du style de Heinrich
Heine, frugal en épithètes, ne se prive pas du plaisir de décrire un paysage
hivernal rappelant les images d’un conte de fées à l’aide de toute une série
d’épithètes pour faire voir la beauté d’une neige féerique, telles que
« tendre », « brillant-pétillant », « blanc ». Le texte source, par contre, met en
scène un sapin couvert de glace et de neige, rappelant un linceul et soulignant
de cette manière l’idée de solitude et de séparation, tandis qu’à l’arrière-plan
de la scène poétique s’esquisse l’image onirique de la palme, objet d’un désir
fatalement inatteignable. À cela s’ajoute le lyrisme tendre et profondément
émouvant propre à la poétique de Vahan Térian, auquel se superpose l’image
nostalgique d’une contrée de soleil et celle d’un rocher en éperon (հեռավոր
երկրում արևկա, սեպ ժայռ), traduisant l’idée d’inaccessibilité et de
séparation, évoquant l’expression arménienne սեպ խրել, qui signifie
« séparer délibérément des choses, mais surtout des êtres qui s’aiment ».
L’isotopie sémantique dans la traduction de Vahan Térian se construit
grâce au sémème de « solitude », qui se reflète comme dans un double miroir